Zagriban dans le coma profond

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Posté le: Mar Mai 11, 2010 22:24 Sujet du message: La belle et la bête (Gary Trousdale, Kirk Wise, 1992) |
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Au début des années 90, les studios Walt Disney, en plein renouveau avec le surprenant succès de "La petite sirène" (1989), signe un petit chef-d'œuvre d'émotion avec "La belle et la bête".
S'inspirant du conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1757), l'adaptation de Gary Trousdale et de Kirk Wise (qui réaliseront ensemble "Le bossu de Notre-Dame" et "Atlantide, l'empire perdu") est bien loin de l'ambiance mélancolique, sombre, voire torturée, de l'oeuvre originale, une atmosphère que sut capter Cocteau dans sa version de 1946, en y ajouter une dose de surréalisme.
Fidèle à l'esprit du conte original en même temps qu'à ses propres fondamentaux, la version animée de "La belle et la bête" est une oeuvre profondément manichéenne.
Les figures "positives" sont Belle, marginale au sein de sa communauté villageoise car libre d'esprit et idéaliste (la chanson du début, "Bonjour", est éloquente: "la tête ailleurs, perdue dans son univers, c'est une étrange demoiselle, elle est fantasque et bizarre, un fossé nous sépare..."), son père qu'on prend pour un fou, et les habitants du château, et en particulier la bête (un prince puni pour sa cupidité).
Ces figures positives doivent être contrebalancées par des "figures-repoussoir": ce sont les habitants du village, intolérants et ignorants, et surtout Gaston, un tombeur cupide qui veut marier Belle. Il est étonnant de voir que Gaston, parmi la galerie disneyenne des "méchants" semble d'abord original par son aspect vantard et stupide, mais il sait lui aussi se montrer machiavélique et calculateur (il échafaude un ignoble chantage avec la participation du directeur d'un asile dans le but de conquérir la main de Belle). C'est sans aucun doute un des meilleurs méchants de toute la galerie disneyenne.
http://www.youtube.com/watch?v=RqMpg4wEkSU
Le film d'animation sait donc reprendre la sève du conte de fée originel, une œuvre de son temps car œuvre des Lumières, plaidoyer pour l'acceptation de la différence, en même temps que critique féroce de la cupidité et de l'ambition dévoyée.
Reprenant les thématiques de la magie et de l'émerveillement (objets animés, etc), Disney rajoute sa touche personnelle, marque de son succès fédérateur: humour, chansons, émotion.
Cette recherche de l'humour édulcore un peu l'esprit du conte, mais il est justifié dans la mesure où le public visé par Disney est certes très large, mais vise surtout les enfants.
Mais ce qui est fantastique, c'est que Disney assume complètement cette édulcoration et, grâce à Ashman (paroles) et Menken (musique) mise à fond sur l'aspect "broadway" des chansons avec foule qui chante ("Bonjour"), danses, exagération complète (le summum est atteint dans "c'est la fête" http://www.youtube.com/watch?v=o3H49_zM6RE), émotion ("Ya quelque chose" -ma chanson préférée-, "Histoire éternelle").
D'ailleurs, la scène de bal d'"Histoire éternelle" est décisive car c'est la première fois que des images de synthèse interviennent à un tel point dans un long-métrage animé: http://www.youtube.com/watch?v=xrzisSAoU5U
Si l'on continue sur le plan technique, on remarquera qu'avec ce dessin animé (virage déjà amorcé avec "Basil détective privé" en 1986), c'est le triomphe d'un style graphique, tout en souplesse et en dynamisme, très différent de l'aspect brouillon des années 60-70 ("Les Aristochats", "Bernard et Bianca" par exemple) ou de la sophistication un peu froide de la fin des années 50 ("La belle au bois dormant" en particulier). Et étonnamment, ce style a quand même pas super bien vieilli, pas mal ringardisé par le passage au numérique.
Bref, sur le sempiternel thème de "l'amour plus fort que la différence", Disney a fait une œuvre tout à la fois dramatique, joyeuse, optimiste. Intemporelle.
Mon Disney préféré avec "le roi Lion". 6/6
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