La Douleur (Emmanuel Finkiel, 2018)

[valzeur]

Voici le type même du film qui fait regretter, l'espace d'une seconde, de ne pas être journaliste à Libé pour, toute honte bue, titrer son papier sur La Douleur : "Flou, y es-tu ?".
Sur l'image ci-dessus extraite d'une des rares séquences solaires et découpées de façon à saisir quelque chose, la petite Marguerite roule à vélo dans un Paris déserté par les allemands et ses habitants, avant bientôt un plan large sur la place de la Concorde, vidée de toute présence humaine (poésie...). "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé", comme l'écrit Lamartine (ne pas confondre avec le dicton de la grand-mère de Martine Aubry qui vaut aussi pour le film : "quand c'est flou, il y a un loup").
Deux mouvements donc : le flou, le vide qui se partagent le film avant le retour de l'Aimé plus mort que vif et bientôt fondu/dissous dans les grains de lumière. Adaptant Duras, Finkiel choisit l'option arty-atmosphérique grand style quelque part entre Todd Haynes et Arnaud Des Pallières. On dirait presque Bon Voyage de Rappeneau revu et corrigé par le duo Bernard/Trividic, du jus de cervelle molle sur fond de romanesque historique et patrimonial. N'oublions pas l'injonction lanzmanienne de ne rien fictionnner sur la Shoah qui aboutit à un résultat cousin du Fils de Saül, un film où l'on ne voit pas grand chose (presque tous les plans semblent réduits à des amorces ou des fragments) et où l'on ressent encore moins. Comme Duras est une icône multi-célébrée en France, on entend sa Douleur en voix-off d'une façon soutenue et aléatoire tant images et bande-son paraissent se parasiter l'un l'autre (hommage au cinéma discutable de Marguerite D. ?). La mise en scène chichiteuse au dernier degré fait tellement écran aux émotions pourtant incarnées par les acteurs que c'en est pitié. Magimel, lourd et empâté comme un Depardieu quinqua, a une sorte de bonté matoise et touchante qui donne au film ses meilleures scènes ; Mélanie Thierry est parfois très convaincante dans sa dureté d'écrivain bourgeoise abattue par l'attente et un mal plus grand que soi (et que l'égo durassien, est-on tenté d'ajouter). Du trio principal, seul Biloay consterne, énorme erreur de casting de 20 ans de plus que le rôle, et qui donne l'impression de sortir d'une nuit d'enregistrement studio à chaque scène. Leurs efforts sont de toute façon noyés dans la bouillie sensorielle que Finkiel nous sert à la petite cuillère (mention spéciale à la rue d'été qui se transforme en Nicolas de Staël).
Cette Douleur qui n'existe que dans son titre est pratiquement anesthésiée par le film dont l'horizon esthétique est celui de la toile cirée : rien n'adhère, un coup d'éponge et on oublie tout. Comme aurait pu dire Duras, "tu n'as rien vu à Paris, en juin 45, rien."

[Baldanders]

Kitty ! Help ! On fait comment pour rétrécir l'image ?

[François Bégaudot]

Le livre de Duras n'est pas tout à fait sur la Shoah, plutôt sur la déportation des résistants communistes (un peu comme le Grand Voyage de Semprun).
Personnellement j'ai des réserves sur le texte de Duras, qui tend à la fois à décontextualiser la compréhension de l'époque, et à porter un regard très passionnel sur elle (la fiction de la mise à mort et de la torture du SS, soi ll'inverse exact de la lucidité et dignité morales de Fuller dans the Big Red One). Le roman donne aussi une image de Mitterrand en grand résistant qui n'est pas sans arrière-pensées politiques vu sa date de publication (1985), d'une part le passé vichyste de Mitterrand commençait à être connu, d'autre part Duras gommait l'aspect communiste de son engagement. Le film, peut-être bon en lui-même, ne m'intéresse pas beaucoup pour ces raisons. Je n'ai pas lu le livre de Robert Antelme.

[valzeur]

[François Bégaudot]

À une époque (étudiant) j'avais une camarade qui aimait Duras et m'avait fait lire le livre.
Ce qui m'avait gêné c'était la mise sur le même plan de la justification de la rupture avec Antelme, pour Mascolo, avec celle de la torture du S.S. Mais je me souviens de passage assez précis et intéressants sur le mélange de soulagement et de culpabilité de l'époque, pas si éloignés de la Plage de Scheveningen de Gadenne... A la limite traiter le drame érotique seul en comparaison avec la déportation aurait été légitime (un peu l'approche dn"Hiroshima mon Amour" qui laisse de l'inexpliqué) . Après il y a des livres d'elle qui m'ont plû, comme "les Petits Chevaux de Tarquinia". Pas vu beaucoup de ses films mais je me souviens avoir aimé "Détruire dit-elle" et son scénario pour le film espagnol de Jules Dassin est bon (même si elle met souvent en scène le même personnage de femme amoureuse en fuite, un désir qui devient à la fois la négation et la métaphore d'une culpabilité politique collective ).

[Hello--Kitty]

[valzeur]

Merci HK (que l'image soit petite n'est pas très grave, le film est petit aussi...)