Hello--Kitty dans le coma profond

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Posté le: Ven Avr 15, 2011 23:18 Sujet du message: Essential Killing (Jerzy Skolimowski, 2011) |
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Capturé par les forces américaines et envoyé dans un centre de détention, un homme parvient à s'échapper. Il est traqué. Il doit survivre.
Allez, Défense d'Essential Killing.
Je n'ai pas bien compris pourquoi on a tant parlé de survival au sujet d'Essential Killing, tant il semble évident que le film cherche avant tout, par toute une série d'astuces, à se dégager de ce qui pourrait le définir dramatiquement (où ça se passe ? quelle est la nationalité du héros ?) ou formellement (le "genre" du film, donc).
Petit à petit, alors que le film plante d'abord son bâton dans les codes habituels du cinéma de guerre US (vues d'hélico sublimes, boys qui crapahutent, simili-sniper en embuscade), on se désoriente, on change de paysages, de costumes, de langues. On épure. On passe du film géopolitiquement repérable à la fable.
L'épure, donc. Il y a dans le film un "interdit de formuler" très fort, qui est d'ailleurs ce qui lance le film: les militaires américains qui passent les 5 premières minutes à bavarder de tout et de rien sont punis, déchiquetés. A partir de maintenant, il n'y aura plus que des muets et des sourds. Non mais.
On pourrait s'étendre sur la picturalité du film, qui travaille une palette restreinte de beiges, de noirs, de blancs et d'oranges. Essential Killing est un film très incarné qui fait se succéder des tableaux abstraits. Mais bon, je pense que tout le monde est ou sera sensible à cela.
Le "ton" du film semble davantage poser problème. Pour moi, les films de Skolimowski, comme ceux de Polanski, et même comme certains films de Kieslowski, ont souvent (toujours?) mis en scène des personnages sur lesquels le sort s'acharnait. Ce n'est pas sadique, c'est grinçant. C'est le monde vu de ce pays pris en étau entre les voraces de l'ouest et les féroces de l'est. Essential Killing doit ainsi beaucoup moins au survival américain qu'à la culture polonaise de la farce noire. C'est ce que je vois, moi, dans le film. Ici, comme le héros est muet, on a même le temps d'imaginer une sorte de visée burlesque.
Dans le film, le destin, qui est très joueur, intervient toujours pour abréger dans un premier temps les souffrances du personnage, avant de le replonger dans la déveine. Il balance une espèce de sanglier dans les roues du fourgon pour permettre au héros de s'échapper, mais c'est pour mieux lui faire tomber sur la figure quelques séquences plus tard un tronc d'arbre et l'immobiliser. Ah la la, c'est pas très sérieux tout ça. Bah non. C'est ironique. Si on ne perçoit pas cela, je pense qu'on peut passer complètement à côté du film.
Ironie aussi, cette séquence hallucinante où le musulman fondamentaliste doit, parce qu'il n'a pas le choix, aller téter le sein d'une Vierge Marie plantureuse. Ça brouille les pistes, une séquence comme ça.
Brouillage de piste, donc. Taliban, pas taliban ? Converti ? On ne sait pas réellement. On voit juste, dès la première séquence, qu'il a l'air de faire dans son froc, et ce n'est pas l'image qu'on se fait, ici en occident, d'un taliban. Tu parles d'un djihadiste. Le héros, c'est d'abord juste un type qui a peur. Vincent Gallo joue cette peur de mille manières pendant une heure et demi. C'est ce qui fait que le film a, je trouve, quelque chose de beckettien (si je peux me permettre): c'est moins le spectacle d'un martyr que la tentative d'épuisement de toutes les infortunes physiques (le froid, la faim, la fatigue, le piège à loup qui mord la cheville, etc). A la fin, c'est un bel Epuisé qui n'a même plus la force de faire un pas devant la porte d'Emmanuelle Seigner.
Entre temps, autre qualité du film, on aura traversé un désert et une forêt, 2 décors ultra-tendance du film d'auteur des années 2000 que Skolimowski s'échine à ramener à leur dimension physique et plastique, sans la traditionnelle surenchère métaphysique dans l'exploitation graphique des paysages.
4,5-5/6 |
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