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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Lun Mar 07, 2011 12:46 Sujet du message: La Place (Marie Dumora, 2010) |
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La Place commence par un des plus beaux moments du film. Un vieux gitan veut montrer à la caméra la vue sur les vignes par-dessus un muret. Mais Dumora est trop petite. Le gitan fait alors installer une palette devant le muret et monter la réalisatrice dessus. Encore trop bas, on ajoute une deuxième palette. Puis une troisième, et enfin, la vue sur les vigne.
Pas géniale la vue, mais on est content de la voir enfin. Surtout, ce qui importe, c’est le désir du gitan de la montrer, et le rapport intime que ça installe avec la caméra (ou la réalisatrice, ou le spectateur).
En fait le cinéma de Dumora c’est surtout ça, mettre en scène une proximité avec les personnages, donner un sentiment d’évidence de la présence de la caméra. Alors on se retrouve à suivre les gens, là un groupe de gitans dans les Vosges installé sur une ancienne déchetterie (mais "tout est démontable, s'il faut partir"), et on est un temps fasciné du naturel de tout ça et du travail de mise en confiance que ça a dû demander. Et dans ce cadre là, le film propose des moments très beaux, un baptême extraordinaire par exemple, ou une messe chantée par des hommes au début.
Pourtant, quelque chose manque. Ou peut être pas, j’ai du mal à savoir. Le fait est que Dumora se refuse à installer un récit. Elle raconte peu, simplement une succession de moments, souvent longs, qui fonctionnent en eux-mêmes, où il s’y passe peu de choses, une situation, une personne, des enfants dans un arbre…
C’est assez séduisant cette manière de ne pas rentrer dans une narration alors que tout y pousse par ailleurs (le storytelling est partout, jusqu'en entreprise ou en politique) et puis Dumora ne traite pas de sujet, pas de thèse ou de développement, pas de dissertation ou de discours sur « les gitans aujourd’hui » ou « les gitans dans l’histoire » (même si ça affleure par ci par là, on croise la question du territoire, du rapport à la communauté, la religion, la déportation), et c’est assez beau d’être témoins de moments de vie, chez ces gens là, sans se sentir devant un dossier de l’écran (du coup les cartons à la fin laissent perplexe, des renseignements sur le nombre de déportés durant la guerre, sur le passeport des gitans, comme si le film en avait fait son sujet).
Globalement, Dumora envoie balader tout ce qui serait de l’ordre d’une attente du spectateur a priori. C’est un film libéré de plein de choses. Formellement aussi, avec un souci du cadrage bien moindre que dans son film précédent, une image plus rude, la perche souvent dans le plan, disons une affirmation plus forte de la présence de l’équipe, qui participe du joli rapport entre la caméra et les gitans et qui affirme ça comme valeur esthétique principale.
Mais en même temps quelque chose rate, justement ce qui était réussi dans Je voudrais aimer personne, qui développait en gros la même mise en scène mais autour de séquences fortes, avec une tension sensible et un personnage central. Là, la plupart des séquences font profil bas, travaillent quelque chose de plus ténu et de plus éclaté dans un portrait de groupe. Du coup, on s’ennuie un peu tout de même, le temps se fait un peu long sans qu’on en saisisse vraiment le pourquoi.
A la fin, le film se recentre in extremis sur une jeune fille qui vient de se sédentariser, un peu perdue dans ce nouvel environnement, et c’est toute la beauté du film précédent qui ressurgit, on retrouve une implication affective, une sensibilité plus affirmée qui nous fait un peu regretter que La Place n’ai pas tiré ce fil là.
Sentiments mitigés donc, où je ne peux m’empêcher de trouver le film un peu raté alors que j’apprécie au fond les choix qui sont fait.
C’est visible du 31 mars au 2 avril au Cinéma du Réel. _________________ La Quadrature |
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kleber dans le coma profond

Inscrit le: 07 Nov 2010 Messages: 212
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Posté le: Sam Avr 02, 2011 17:38 Sujet du message: |
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Levé à 9h30 un samedi, faut-il que je vous fasse confiance !
Je rejoins un peu ce que tu dis, une déception relative, mais difficilement explicable (ou justifiable...) puisque la posture en retrait, le regard humble mais pas effacé, sont des postulats constitutifs de sa mise en scène, toutes choses par ailleurs bien connues du cinéma direct, et qu'il serait idiot de le lui reprocher. D'autant que c'est bien ce qui permet quelques éclats, soit les scènes que tu cites et surtout la première, dont la force est d'être programmatique (en gros : empiler plan par plan, et comme par anarchie formelle, des palettes de savoir pour distinguer ce qu'il se passe au-delà) sans l'être vraiment (l'interprétation reste ouverte, et lestée de concret). Une telle modestie incite aussi à l'éloge apophatique, qui dirait tout ce que son film n'est pas - voyeuriste, démonstratif, misérabiliste, manipulateur, pansement pour bonne conscience -, quand tant d'autres, voulus de gauche (je pense très fort à ce que j'ai pu voir des machins produits par Zalea TV et environs), donnent tellement envie de fuir.
Ce qui me gêne un peu, tout de même, ce sont ces cartons finaux (rajoutés, peut-être, après coup, devant les obscénités politiciennes de l'été dernier ?) qui s'abattent là-dessus comme un retour du refoulé didactique, alors que la question naissait d'elle-même dans les plans de la seconde partie. |
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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Sam Avr 02, 2011 18:05 Sujet du message: |
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Ah l'analogie plans/palettes est bien vue.
kleber a écrit: | la posture en retrait, le regard humble mais pas effacé, sont des postulats constitutifs de sa mise en scène, toutes choses par ailleurs bien connues du cinéma direct, et qu'il serait idiot de le lui reprocher. |
Oui, j'aime vraiment les choix qu'elle fait, mais je me dis qu'elle a peut être du mal sur ce film à trouver un rythme ou une tension qui tiennent complètement.
Les cartons, c'est vraiment étonnant, et c'est vrai que ça ne colle pas du tout au film. _________________ La Quadrature |
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Zahad le rouge dans le coma profond

Inscrit le: 11 Fév 2010 Messages: 1968
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Posté le: Dim Avr 03, 2011 0:59 Sujet du message: |
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Assez d'accord avec vous deux, le fait de ne pas "choisir" une narration évidente, d'opter pour le non-événementiel, le non-spectaculaire, acter que l'événement majeur du film est finalement tautologique (l'événement, c'est la présence d'une nana avec une caméra au milieu de ce monde, "dans le monde mais pas partie du monde", et qui, en résumé, ne soit pas une fouille-merde), c'est à la fois déroutant mais aussi un acte politique et esthétique fort. Le plus flagrant étant sans doute ce moment où la narration pourrait prendre une voie plus attendue, à savoir ce moment du "22 v'là les flics", qui reste sans suite : leur arrivée puis leur départ sont hors du film, disparus dans l'ellipse de la coupe, on reprend après l'orage, ce n'est pas ce qui intéresse le film.
Cette volonté-là de ne pas faire discours, de ne pas traiter une "thématique" de société, c'est le plus beau, le plus impressionnant, le plus culotté de La Place.
En cela, c'est exactement l'inverse de la BM du Seigneur, film qui depuis sa vision ne cesse de mal vieillir dans ma tête, défilé de freaks, de corps monstrueux et spectaculaires, dilatation de conflit sur 1h30, quand le film de Dumora est solaire et laisse ces conflits hors-champ, sans nier leur existence, mais en refusant de laisser dans son montage la moindre image en proie à quelque stigmatisation que ce soit, en refusant de courir ce risque-là (je dis "solaire" en citant volontairement ce beau passage, dans le n°4 du Tigre, du feuilleton "Mademoiselle", où l'auteur, parlant d'un couple gadjée/gitan, assume n'évoquer que le "solaire", le reste, les galères, ne regardant que ce couple)
Ce qui est gênant, ce sont les quelques moments, une poignée, où le film se laisse aller à faire du discours, qui coïncident d'ailleurs toujours avec d'immenses maladresses de mise en scène. Les cartons que vous évoquez bien sûr (comme si soudain le film se demandait s'il n'aurait pas dû "angler" comme disent les connards télévisuels, "faire sujet"), mais aussi les effets de glissement de la musique sur des moments censément lourds d'affect, air mélancolique sur le visage grave d'une mémé évoquant l'Holocauste, etc. C'est inutile, c'est pathos, c'est de trop, c'est un faux-pas très étonnant de la part de Dumora.
J'en ai touché un mot rapide avec elle après la projection et elle me disait que ça avait été l'objet d'âpres débats, mais je n'en ai pas compris la teneur, ni avec qui ils avaient été menés, ni dans quel sens ils se tenaient, qui défendait quoi...
Reste tout de même un vrai film de Marie Dumora, avec des retours de motifs assez inattendus (le baptême, les poussettes des filles-mères). La différence à mon avis, l'aspect p-ê plus impersonnel, vient de ce que d'ordinaire Dumora filme des gens qu'elle connaît de très longue date, qu'elle a vus grandir. Cette fois, cette communauté elle ne l'a connue qu'un an et le film hésite un peu à identifier, à personnaliser. D'où p-ê aussi ces moments impersonnels, d'Histoire et de communauté, qui n'existent pas dans ses films précédents.
Ceci étant, de tous les films mettant en scène des gitans vus ces derniers temps (le neuneu Jimmy Rivière, le bourrin et un peu bête BM du seigneur, le très maladroit Recardo Muntean Rostas), c'est le plus beau, le plus surprenant, le plus doux aussi. _________________ "Si je m'en sors bien, je serai peut-être vendeur aux 3 Suisses."
Dernière édition par Zahad le rouge le Dim Avr 03, 2011 1:34; édité 3 fois |
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Zahad le rouge dans le coma profond

Inscrit le: 11 Fév 2010 Messages: 1968
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Posté le: Dim Avr 03, 2011 1:02 Sujet du message: Re: La PLace (Marie Dumora, 2010) |
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le yougo' a écrit: | un souci du cadrage bien moindre que dans son film précédent, une image plus rude, la perche souvent dans le plan, disons une affirmation plus forte de la présence de l’équipe, qui participe du joli rapport entre la caméra et les gitans et qui affirme ça comme valeur esthétique principale. |
ça c'était p-ê moins flagrant dans Je voudrais aimer personne, mais c'est pas nouveau, y'avait des ombres mastocs et des entrées de champ à tire-larigot dans Avec ou sans toi. _________________ "Si je m'en sors bien, je serai peut-être vendeur aux 3 Suisses." |
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Zahad le rouge dans le coma profond

Inscrit le: 11 Fév 2010 Messages: 1968
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Posté le: Lun Avr 04, 2011 1:02 Sujet du message: |
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Prix Patrimoine de l'Immatériel.
Drôle de nom de prix.
2500 euros de récompense, moins immatériel
(j'ai appris en allant voir India Song à la Cité de l'Architecture qu'il existait en 1975 une section à Cannes qui s'appelait "Les Yeux Fertiles". Ca vous a une autre gueule que Semaine de la critique ou Quinzaine des réalisateurs) _________________ "Si je m'en sors bien, je serai peut-être vendeur aux 3 Suisses." |
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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Lun Avr 04, 2011 10:30 Sujet du message: |
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Zahad le rouge a écrit: | les effets de glissement de la musique sur des moments censément lourds d'affect, air mélancolique sur le visage grave d'une mémé évoquant l'Holocauste, etc. C'est inutile, c'est pathos, c'est de trop, c'est un faux-pas très étonnant de la part de Dumora.
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A noter dans ce sens que le gamin joue à un moment la musique de La Liste de Schindler, ce qui n'est pas très fin non plus. _________________ La Quadrature |
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Zahad le rouge dans le coma profond

Inscrit le: 11 Fév 2010 Messages: 1968
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Posté le: Lun Avr 04, 2011 10:39 Sujet du message: |
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ah oui en effet, j'avais pas capté, c'est naze
(je connais pas la musique de La Liste, je l'ai pas revu depuis sa sortie il me semble, ou p-ê une VF un ou deux ans plus tard à la tv) _________________ "Si je m'en sors bien, je serai peut-être vendeur aux 3 Suisses." |
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