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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Sam Juil 09, 2011 19:29 Sujet du message: Ceci n'est pas un film (Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb-201 |
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Ceci n’est pas un film est d’abord le récit d’un empêchement. Panahi se trouve dans son appartement, dans l’attente du verdict de son appel au procès qui l’a condamné à 6 ans de prison et 20 ans d’interdiction de filmer ou d’écrire un scénario. Reclus chez lui avec une caméra, il tente néanmoins de faire un film.
Le titre est bien sûr une référence à Magritte, comme un pied de nez à la censure et nous fait penser que bien sûr il s’agit d’un film, ne serait ce que parce que l’objet est distribué dans les festivals et bientôt dans les salles. Si ça passe par le circuit cinéma, c’est donc que c’est du cinéma.
Pas si simple pourtant puisque cet empêchement juridique met Panahi dans une position qu’il connaît peu, pas de production, pas de scénario, pas d’équipe, pas d’autre décor que son appartement, et pas d’autre motif de filmer que sa frustration. Panahi cherche, se filme à la table en train de manger puis de téléphoner, et l’on sent bien que rien ne se passe à part le vide et le manque. Qu’est ce qui fait un film ? Difficile de répondre, c’est quelque chose qui a à voir avec une présence, ou une pensée, ou une vibration de la vie, quelque chose qui dépasse le simple principe d’enregistrement et qui manque dans ce début de film. On en vient à penser qu’effectivement, ceci n’est pas un film.
Alors ça devient le récit d’une recherche, de tentatives ratées, où à chaque fois Panahi en vient au constat que non, ça ne marche pas. Il fait rapidement appel à son ami documentariste Mojtaba Mirtahmasb pour tenir la caméra, et il tente alors plusieurs pistes, un passage façon Dogville où il trace les contours d’un décor symbolique au sol et se met à y lire le scénario qu’il n’a pas pu tourner. Impasse : « Si l’on peut raconter un film, à quoi bon le réaliser ?» ; puis un passage où Mirtahmasb filme l’iguane de Panahi se balader entre les meubles, puis un autre où Panahi raconte des moments de tournage de ses précédents films. Si chacune des propositions comportent des moments réussis, avec un vrai savoir faire dans la mise en scène et le montage, c’est toujours le sentiment d’échec qui domine, confirmé d’ailleurs par les réalisateurs qui ne cessent de se dire que ça ne va pas, ou de douter de la possibilité de faire quoi que ce soit des images qu’ils tournent.
Ceci n’est pas un film serait alors un objet non identifié et dépressif, qui dit surtout la violence d’un pays pour ses réalisateurs, comment on réduit leur vie jusqu’à les assécher, comment cet empêchement est terrible. Un ensemble de rushs tristes qui montre l’efficacité de la muselière.
Et pourquoi pas, déjà en l’état ce non-film dirait quelque chose, aurait une raison d’exister de part son échec même.
Mais à un moment, la nuit est tombée, et Mirtahmasb doit partir. Panahi reprend la caméra et se retrouve à voyager dans son ascenseur avec un jeune homme qui ramasse les poubelles de l’immeuble. Soudainement, dans un plan séquence très long et extraordinaire, on assiste au retour de la sève. Le rythme, le mouvement général, l’intensité font leur apparition, la densité du cinéma surgit alors qu’on ne l’attendait plus, et alors que Panahi décide de faire un mouvement vers l’autre (sortir de chez lui, filmer quelqu’un d’autre) sans que les enjeux ne paraissent plus importants, ça prend une dimension dingue, tout décolle d’un seul coup pour finir sur une image saisissante de l’Iran en flamme, vie, colère, révolte et fête mêlées.
Ceci n’est pas un film travaille sur les limites de la contrainte et leur dépassement, sur la création d’un espace de liberté, sur ce qu’est la mise en scène (documentaire ou non, car il est possible que le film mente sur son apparente improvisation) et va bien plus loin que la seule exploration de ses conditions de fabrication, vers une vitalité retrouvée. _________________ La Quadrature |
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Zahad le rouge dans le coma profond

Inscrit le: 11 Fév 2010 Messages: 1968
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Posté le: Mer Oct 05, 2011 12:23 Sujet du message: |
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Miraculeux, ce film, n'empêche... Tout ce que ça dit des puissances du documentaire, avec rien du tout, c'est proprement incroyable. Plus j'y repense, plus il devient d'une importance capitale dans ma vision du documentaire, dans ma défense de ses forces fictionnalisantes, dans l'importance du plan-séquence aussi (contre Badiou, là-dessus). _________________ "Si je m'en sors bien, je serai peut-être vendeur aux 3 Suisses." |
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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Mer Oct 05, 2011 18:30 Sujet du message: |
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C'est sur que la fin est une démonstration de puissance, mais finalement avec le temps je suis encore plus impressionné par l'aveu d'impuissance qui est fait aussi. Une manière de dire que le rapport au réel d'un documentaire (ou d'un film), c'est pas qu'une question de mise en scène pure, c'est aussi un rapport de production, un contexte économique et politique. Et quand ce contexte est un étau, il peut fonctionner comme un empêchement lourd. Du coup, éloge du plan séquence, mais aussi une sorte de tragédie du cut, couper le plan en disant qu'on n'y arrive pas mais en faire dans le même temps le corps même du film, c'est un geste très beau. La fin est une belle révolte, mais elle a quelque chose d’exceptionnel, de miraculeux, qui n'efface pas complètement les échecs successifs qui précèdent. Aujourd'hui, ces échecs, je les trouve fondamentaux dans le film, y'a une esthétique de la chute, du surplace, ça se débat. Finalement ça s'envole mais comme un happy end qui ne règle rien. Là, la fiction, c'est presque qu'il y aurait un espoir. _________________ La Quadrature |
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