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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Sam Sep 10, 2011 16:52 Sujet du message: Cave of forgotten dreams (Werner Herzog, 2011) |
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J’aime énormément les documentaires de Herzog. D’ailleurs souvent ça m’étonne puisqu’ils développent régulièrement toutes les formes attendues du documentaire pédagogico-spectaculaire normalisé, voix off explicative et continuelle, interviews face caméra, utilisation systématique de la musique pas toujours subtile… Qu’est ce qui fait que chez lui ça marche, que tous ces trucs balourds créent une élévation là où d’habitude ça s’ankylose à mort ? Toujours est il que les docus d’Herzog développent souvent une sorte de grossièreté des moyens pour un résultat délicat et personnel.
Parfois je me dis que c’est grâce à sa voix. Précise, très articulée, minutieuse, douce et distante, elle installe une attention délicate aux choses qui donne le sentiment que ce qui se passe est fragile et important. Sa prosodie presque uniforme, son accent allemand merveilleux, ça me donne parfois l’impression que tout le film est là dedans, le reste compte moins que ça. Alors c’est sûr que ce film part avec un gros handicap puisqu’il n’existe pas de VO apparemment, toutes les copies françaises se retrouvent avec la voix de Schlöndorff, qui ne fait pas illusion trois secondes. Et puis les français qui parlent en anglais et se retrouvent doublés en français (avec un accent du sud qui ne colle pas forcément au personnage), ça fait un peu mal.
Sans la voix de Herzog, le documentaire a d’abord à offrir sa 3D, qu’on a dit un peu partout exceptionnelle et parfaitement justifiée. Et c’est vrai que pour une fois on voit bien le pourquoi de ce choix. Devant le film, on comprend combien il était important de mettre en avant la matière et le relief des parois de la grotte, où les dessins rupestres semblent avoir été faits en fonction des aspérités et des mouvements de la roche. Un gonflement de la pierre accueille la colonne vertébrale d’un cheval, la corne d’un rhinocéros se loge dans un creux, à ce moment là le relief de la projection est une chose précieuse. Le jeu sur les éclairages est aussi assez savoureux, qui transforme une contrainte de tournage en une reconstitution des potentielles lumières à la torche de l’époque, et drée des effets d’apparition du relief pas dégueulasses du tout
Mais tout le reste du film m’a semblé un peu ennuyeux, très pédagogique mais finalement inutile (les scientifiques font un peu doublon avec Encounters at the end of the World), et à côté des murs de la grotte, tout est un peu plat et attendu.
Et puis peut être à cause de Schlöndorff, la voix off m’a semblée un peu crétine, s’appliquant à ajouter de la poésie partout (le final crocodile, pourtant étonnant, est un peu lourdingue par exemple). J’ai eu l’impression de voir un film pour la géode, pas mauvais mais quand même décevant, qui réussit sa leçon d’histoire mais se ramasse dans ses considérations métaphysiques (alors qu’à un moment, le film transforme Fred Astaire en homme des cavernes, là il touche à quelque chose de fondamental autour de la représentation et de la mise en scène, mais la piste sera perdue par la suite).
Comment dire, c’est pas mal, mais il y a un miracle herzogien qui n’a pas eu lieu pour moi cette fois là.
PS : La musique est insupportable, et participe pas mal de ce sentiment qu’Herzog essaye un peu trop, fait peu confiance à son sujet.
PPS : Pendant tout le début, impossible pour mes yeux de faire le point, l’arrière plan semblait chercher à se hisser au premier plan, la profondeur faisait un effet de mosaïque mal assemblée, les creux faisaient des bosses, le film était irregardable. Au bout d’un moment, j’ai mis mes lunettes à l’envers, et tout est rentré dans l’ordre. Un problème de réglage de la projection je pense, du coup il est possible que moi et mon amie ayons été les seuls de la salle à voir vraiment le film en relief. Personne pour gueuler pendant ou après le film, ça ronchonnait vaguement dans sa barbe. Ça m’a donné l’impression que les spectateurs se sentaient dépassés par la technique, qu’ils n’osaient pas faire remarquer que le film était irregardable, peut être par gêne (moi-même j’ai d’abord pensé que c’était moi qui avait un problème). Le film se fout de leur gueule, et tout le monde se tait en se disant que ça doit être de leur faute. Il y avait pas mal de vieux qui ont dû se dire que la 3D d’aujourd’hui n’était pas pour eux. Enfin je sais pas, peut être que j’en rajoute, mais j’ai eu le sentiment que les spectateurs de la salle avaient abdiqué, plutôt passer 1h30 à ne rien voir que d’avouer que le film leur fait mal aux yeux. _________________ La Quadrature |
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Alexia dans le coma profond

Inscrit le: 10 Fév 2010 Messages: 581 Localisation: Ur
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Posté le: Dim Sep 11, 2011 22:16 Sujet du message: |
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Entendu dire que les découvreurs de la grotte faisaient des difficultés à Herzog, tu sais quelque chose là-dessus? _________________ Thalatta!Thalatta! |
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Bicéphale

Inscrit le: 26 Oct 2010 Messages: 80
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Posté le: Mar Sep 13, 2011 10:09 Sujet du message: Re: Cave of forgotten dreams (Werner Herzog, 2011) |
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le yougo' a écrit: | J’aime énormément les documentaires de Herzog. D’ailleurs souvent ça m’étonne puisqu’ils développent régulièrement toutes les formes attendues du documentaire pédagogico-spectaculaire normalisé, voix off explicative et continuelle, interviews face caméra, utilisation systématique de la musique pas toujours subtile… Qu’est ce qui fait que chez lui ça marche, que tous ces trucs balourds créent une élévation là où d’habitude ça s’ankylose à mort ? |
Tout ce que tu dis sur la voix d’Herzog est très juste. Sa voix, oui, sa présence, son visage, sa moustache (à une époque), son regard. Tout cela participe effectivement de la singularité de son cinéma documentaire. On pourrait y ajouter les décalages subtils qui viennent perturber la « bonne marche des opérations » sous la forme d’apparitions hétérogènes, de singularités humaines ou animales : le coroner de Grizzly Man, personnage de fiction sur-hollywoodien enchâssé dans le réel / le rastaman extatique qui vient pirater-compléter le cours de White Diamond / la scène de pleurs de l’alpiniste de Gaserbrum / la découverte du vieil homme disposé à mourir sous son arbre dans La Soufrière / l’hallucinant monstre des profondeurs, aveugle et sourd, de Pays du Silence et des Ténèbres / le pingouin suicidaire de Encounters at the end of the world. Autant de déviations qu’on taxera rapidement de fictionnelles au sein du programme documentariste. Des « personnages » surgissent (Herzog lui-même en est un) et le documentaire, ou bien plutôt le réel, s’ouvre sur de drôles de béances.
Et puis, rappeler que tous les documentaires d’Herzog n’épousent pas de manière aussi attendue la forme la plus commune : Fata Morgana, Leçons de Ténèbres, Bells from the Deep, Gesualdo restent d’étranges objets. Sans parler de l’un de ses chefs-d’œuvre : L’Etrange extase du tailleur de bois Steiner. Bien souvent, comme il se doit pour le plus grand bien de l’image-qui-bouge, les frontières deviennent floues (tiens, par exemple, celui-ci, que j’ai découvert il y a peu : http://www.worldscinema.com/2011/01/werner-herzog-massnahmen-gegen.html).
Herzog est un cinéaste passionnant dans la manière qu’il a, et ce depuis le début, de lier fiction et documentaire : aussi bien en tant qu’il pratique conjointement et activement les deux formes, qu’en l’existence des liaisons étroites et consciencieusement entretenues entre les deux versants de son œuvre. Rien ne vaut un visionnage chronologique de son œuvre, où fictions et docus alternent en une ronde fascinante, se répondant, se nourrissant les uns les autres. La forme à l’occasion quelconque qu’empruntent certains de ses films, si elle s’explique aussi par des raisons budgétaires (ainsi, je ne peux m’empêcher de considérer la période américaine de son œuvre comme un poil en dessous, tout de même), participe néanmoins d’une vision complexe, singulière et cohérente du monde étrange dans lequel nous vivons. |
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Alexia dans le coma profond

Inscrit le: 10 Fév 2010 Messages: 581 Localisation: Ur
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Posté le: Mar Sep 13, 2011 20:01 Sujet du message: |
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La voix de Volker Schlondorff ne me dérange pas, pas plus que le décalage de la traduction avec l'accent du midi, c'est même plutôt amusant..
Bien aimé ce docu, qui a le mérite de nous faire connaître une grotte interdite au spectateur ordinaire, et c'est fabuleux de voir ces dessins qui semblent faits d'hier, et qui nous font effectivement rêver, qd on pense qu'ils datent d'il y a 35 000 ans... la sûreté de main de l'artiste paraît éblouissante.
C'est une traversée des millénaires étonnante. Crânes d'ours de cavernes, restes de torches allumées il y a 40 000 ans, représentation de lions et de rhinoceros qui s'affrontent , et nous sommes dans l'Ardèche... c'est super. _________________ Thalatta!Thalatta! |
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Alexia dans le coma profond

Inscrit le: 10 Fév 2010 Messages: 581 Localisation: Ur
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Posté le: Mar Sep 13, 2011 21:48 Sujet du message: Re: Cave of forgotten dreams (Werner Herzog, 2011) |
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le yougo' a écrit: | (le final crocodile, pourtant étonnant, est un peu lourdingue par exemple). . |
j'ai pas trop compris ce que ça faisait là, le rapport avec la grotte est vraiment lointain . On retombait dans le trivial (la "ferme aux crocodiles", à côté de ce qu'on avait vu, ça paraissait sans grand intérêt). _________________ Thalatta!Thalatta! |
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Carton dans le coma profond

Inscrit le: 09 Fév 2010 Messages: 1952
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Posté le: Mer Sep 14, 2011 18:50 Sujet du message: Re: Cave of forgotten dreams (Werner Herzog, 2011) |
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Bicéphale a écrit: |
Et puis, rappeler que tous les documentaires d’Herzog n’épousent pas de manière aussi attendue la forme la plus commune : Fata Morgana, Leçons de Ténèbres, Bells from the Deep, Gesualdo restent d’étranges objets. Sans parler de l’un de ses chefs-d’œuvre : L’Etrange extase du tailleur de bois Steiner. |
Je n'ai pas vu les films dont tu parles, j'irai voir au plus tôt chez mon dealer pour me les procurer.
Mais justement ce que tu dis des apparitions hétérogènes dans ces films, je crois que c'est là aussi où pas mal de choses se passent, qui font que les formes les plus usées retrouvent de la vitalité dans ses documentaires. Je me dis que c'est parce qu'il filme plus une situation ou un état qu'une histoire, qu'il se permet des décrochages si souvent que ça en devient la matière même de ses films. S'arrêter sur le pingouin de Encounters ou le rasta de White Diamond, c'est une manière d'intégrer tout un environnement qui dépasse le sujet de départ, qui transforme le film et le dégage ou le libère d'une écriture préalable. Cette attention aux périphéries des choses, jusqu'à en faire le centre de ses films, c'est effectivement accueillir des personnages, faire naitre de la fiction, tout en affirmant que c'est bien le réel, la présence inattendue de ces éléments, qui dictent la construction du film.
J'ai le sentiment que c'est parce que Herzog est attentif à ça, prend en charge le réel et ses accidents, les travaillent particulièrement, que ses films supportent complètement une mise en scène qui ailleurs serait parfaitement lourde. Et je crois que c'est ce qui me plait aussi, l'impression qu'il réussit à redonner de la sève à des procédés des plus attendus (j'ai en tête un plan de vol d'oiseaux sur fond de cascade dans White Diamond, avec une musique world en illustration, le genre de chose vraiment pas évidente sur le papier qui pourrait basculer facilement dans du Ushuaïa, et en fait non). _________________ La Quadrature |
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Bicéphale

Inscrit le: 26 Oct 2010 Messages: 80
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Posté le: Sam Sep 17, 2011 17:43 Sujet du message: Re: Cave of forgotten dreams (Werner Herzog, 2011) |
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le yougo' a écrit: | Mais justement ce que tu dis des apparitions hétérogènes dans ces films, je crois que c'est là aussi où pas mal de choses se passent, qui font que les formes les plus usées retrouvent de la vitalité dans ses documentaires. |
Oui, sans doute. Il y a chez Herzog une résistance essentielle au format imposé. Grizzly Man, au-delà de tout ce qui peut ou aurait pu en faire un produit conforme, vibre d’une étrangeté propre à Herzog. On pourra pointer avec assez de facilité, ce qu’on a déjà commencé à faire, certains des éléments participant de cet écart, et l’on pourra aussi remarquer que ces éléments sont présents dès l’origine d’une œuvre aussi cohérente que protéiforme. Il y a ainsi, par exemple, un être humain singulier qui traverse tous les films d’Herzog, que ceux-ci soient de fiction ou documentaires (cette distinction étant de toute manière maladroite lorsqu’on aborde le cinéma d’Herzog). Ici Aguirre, là le Timothy Treadwell de Grizzly man, pour citer deux de ses incarnations les plus connues. Je n’ai pas vu le dernier film d’Herzog, mais je sais déjà que cet être est là, que Herzog l’aura encore une fois débusqué. Herzog se consacre à l’étudier, film après film, en des modes de (re)présentation évoluant au gré des conditions de tournage qui lui sont proposées, de la dérive mystique et contemplative de Fata Morgana au très hollywoodien Rescue Dawn.
le yougo' a écrit: | Je me dis que c'est parce qu'il filme plus une situation ou un état qu'une histoire, qu'il se permet des décrochages si souvent que ça en devient la matière même de ses films. |
Le regard que porte Herzog sur le monde ne saurait être troublé par une « histoire », une « narration », toute situation dramaturgique accolée avec plus ou moins d’habileté au réel (non qu’Herzog fasse l’économie de la dramaturgie, bien au contraire, mais il n’en est pas le larbin). Il y a dans un de ses livres une phrase que j’ai relevée : « Alors, un sentiment de fraternité est monté en moi et la solitude a envahi mon cœur ». Je la crois caractéristique du rapport qu’entretient Herzog avec ce qu’il filme, et caractéristique de l’être humain tel qu’Herzog nous le dépeint.
Ce « sentiment de fraternité » qu’il évoque est à entendre au sens fort, romantique, voisin du délire et de l’extase, ce « sentiment de fraternité » est un sentiment de communion pleine et entière avec son objet. Herzog n’a de cesse d’en enregistrer les apparitions, des plus tragiques aux plus farfelues (Herzog sait aussi faire preuve d’un humour ravageur). Aguirre, Treadwell et la Nature ne font qu’un. La forêt est dans la tête d’Aguirre et Aguirre est dans la forêt. La passion qui habite Treadwell ne saurait être mise en doute (on pourra, et Herzog ne s’en prive pas, interroger le bien-fondé de cet affect, la pertinence de l’objet qu’il investit, mais pas sa réalité effective : aussi absurde ou incompréhensible soit-elle à celui qui l’observe, cette passion est un fait dont Herzog témoigne, que sa caméra offre au regard). Mais, dans le même mouvement, Aguirre et Treadwell sont la proie d’une disjonction absolue : êtres humains en rupture de ban, cette « fraternisation » les mène inéluctablement à la solitude et à la mort.
Autrement dit : ce qui distingue sépare. L’humain est, chez Herzog, le seul être en proie à cet élan passionnel, et se distingue en cela de tout ce qui existe sur cette planète (l’animal et le végétal, eux, s’entre-dévorent, chutent et souffrent : ils révèlent, à qui accepte de le voir, le conflit perpétuel et la sordide indifférence nichés au creux du réel lorsque ce dernier n’est pas transfiguré par la passion, constitué dans une relation à un sujet pensant en quête de fraternisation). Mais, cruel paradoxe, cette aptitude à (se) lier est justement, de par sa singularité, sa propension au délire et la résistance essentielle de l’objet qu’elle vise, ce qui sépare irrémédiablement l’humain de l’objet de son attention, et plus largement ce qui fait qu’il sera toujours étranger à lui-même et à ce qui l’entoure. Treadwell ira jusqu’à se faire dévorer par l’objet de sa passion, sans jamais réussir à le rejoindre ; Treadwell ne sera jamais un ours (le titre Grizzly Man évoque déjà à couvert cette liaison impossible : les deux mots, aussi rapprochés qu’ils soient, n’en forment pas un ; il n’y aura pas, il n’y aura jamais de « grizzlyman »). Aguirre finira seul, claustré dans la forêt et dans sa tête, régnant pour de bon sur son royaume enfin constitué : l’osmose totale, telle qu’elle est délirée par le personnage, signifiant la plus terrible des solitudes (ce en quoi il apparaît logique qu’Herzog se soit consacré, avec Nosferatu, à la figure du vampire).
On pourra rétorquer que Treadwell et Aguirre meurent car l’objet de leur passion n’était pas le bon, qu’on ne copine pas avec la forêt vierge ou un grizzly (voir à ce sujet le documentaire réalisé sur le tournage de Fitzcarraldo où Herzog nous expose sa vision, mêlée d’effroi et d’humour glacial, de la forêt vierge). Mais ce n’est pas la question : quel que soit l’objet, si volonté de fraternisation il y a, solitude et mort lui sont intrinsèquement liées. En effet, l’objet que vise la passion révélera, à un moment ou à un autre, sa véritable nature : celle des animaux, celle des végétaux, celle de la pierre, sa résistance essentielle à la liaison, sa plus totale indifférence. Ce qui n’empêchera en rien, bien sûr, l’être humain d’insister, de s’acharner, et ce jusqu’au point de rupture.
Il existe un désir d’immersion chez l’être humain (la majorité des films d’Herzog retracent ça, l’immersion de l’humanité en un espace donné, géographique ou culturel) qui aboutit nécessairement à une douloureuse séparation. On retrouve ce motif évoqué en sourdine au tout début de son Bad Lieutenant, où c’est en plongeant dans l’eau trouble que le personnage émerge comme possible fictionnel pour Herzog : sous l’eau apparemment fluide résidait un bloc de bêton sur lequel s’écraser. De manière bien plus claire et terrible, chez les êtres sourds et aveugles de Pays du Silence et des Ténèbres, immergés en eux-mêmes, figures tragiquement solitaires, coupées de tout. Dans Bells from the Deep, les croyants errent à quatre pattes sur le lac gelé, désespérant d’entrevoir, par-delà la barrière infranchissable formée par la glace, la supposée cathédrale engloutie. Ou bien, encore, chez le tailleur de bois Steiner, sportif d’exception, miracle incarné : ce que fait Steiner, personne ne peut le faire, personne ne peut sauter à skis aussi loin que lui, voler aussi longtemps. Steiner endosse, pour le compte de l’humanité, la passion du vol, Steiner fraternise avec les oiseaux. Et ce vol, Steiner le sait, le dit, n’en dort plus la nuit, le conduira à la mort : un jour, c’est forcé, Steiner sautera trop loin, volera trop longtemps. Steiner est le bouc-émissaire primordial, figure du roi sacrifié qui assiste, à la fois terrifié et fasciné, à sa propre destinée. Les spectateurs du dimanche qui viennent le voir sauter savent cela, sans vouloir se l’avouer : le spectacle qu’offre une passion est toujours le spectacle d’une grande solitude, le spectacle d’une mise à mort.
A l’inverse, Herzog se consacre aussi à étudier des situations extrêmes de solitude et de grand péril comme conditions d’apparition de ce « sentiment de fraternisation » : la figure du survivant (voir Wings of Hope ou Little Dieter Needs to Fly qui lui sont plus spécifiquement consacrés) nous décrit un être humain qui, pour subsister, se retrouve forcé de s’unir à l’environnement le plus délétère. Cette passion, qui mène l'être humain à la mort, se révèle alors aussi, ultime paradoxe pince-sans-rire, condition nécessaire à sa survie en un univers globalement hostile. |
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