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De son appartement (Jean-Claude Rousseau - 2007)

 
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kleber
dans le coma profond


Inscrit le: 07 Nov 2010
Messages: 212

MessagePosté le: Mar Déc 14, 2010 15:43    Sujet du message: De son appartement (Jean-Claude Rousseau - 2007) Répondre en citant

Je pressens un succès foudroyant.



Seul dans son appartement, un homme (Jean-Claude Rousseau) lit des passages de Bérénice, répète quelques gestes quotidiens, et parfois sort.

Beaucoup aimé. Je pensais que ce serait proche des Straub (Othon), en fait pas tellement, on lit d’abord ici pour peupler sa solitude, et si il y a des résonnances du texte sur l’image elles sont surtout sentimentales (Bérénice comme histoire d’une séparation — De son appartement comme film d’après rupture ? Rien ne l’indique, mais on peut bien le fantasmer). Bérénice, c’est l’annonce d’un projet formel : Racine donne parfois l’impression que la langue y parle toute seule, pure musique sans signification, prisonnière du déroulé continu des alexandrins ; dans les termes de JCR, à propos de la pièce : « La dire, c’est ne rien dire ». Mais comme on dit : ce rien, ce n’est pas rien. De son appartement sera donc un film sur le vide (des lieux, du temps), soit le contraire d’un film vide. Et pour dire le vide, Rousseau prolonge simplement cette musique de la langue par un montage rythmique très tenu, où chaque coupe fait événement : les situations se répètent avec de légères variations de cadre, entrecoupées de brefs plans noirs — comme des suspensions du souffle et du sens, c’était déjà le cas dans un des ses courts, Série noire.

Les images de Rousseau se tiennent (persistent : une image ici dure longtemps) à la frontière du familier : terriblement banales dans ce qu’elles montrent, elles finissent par inquiéter, non par cette banalité même, mais parce que, dans leur composition, quelque chose ne passe pas. Un cadre trop serré nous étouffe sous des rideaux, une clé à molette fait trop de bruit en tombant, le ton d’une voix est trop monocorde. L’appartement devient le lieu par excellence de l’entre-deux, extérieur/intérieur, fantastique/domestique, emblématisé dans le film par des plans sur des verres ou des assiettes en équilibre instable, et qui finissent par se briser. Hésitation, aussi, entre le minéral et l’organique, puisque dans cet appartement tout paraît froid et figé, des casseroles sur l’évier au robinet de la douche, et d’une pierre comme tombée du ciel à Rousseau lui-même affalé dans son fauteuil.

Et puis, vers la fin, comme un dénouement de pièce, ces états équivoques sont surmontés, non pas dans la mort (après tout, il s’agit bien d’une tragédie) mais par une réconciliation avec le sensible : dans l’un des derniers plans, des pieds s’exercent à danser un tango ; plan suivant : sur un piano, une pierre précieuse scintillante remplace un galet poli. Jean-Claude Rousseau est sorti du minéral, lire Bérénice valait travail du négatif. Dans un texte sur le film, je lis ce vers de Celan : « Il est temps que la pierre consente à fleurir ». C’est exactement ce qu’il se passe. On peut d’ailleurs citer le poème entier, il est très beau (je ne le comprends pas tout à fait) et il y a pas mal de résonnances :

Citation:

CORONA

L’automne mange sa feuille dans ma main : nous sommes amis
Nous écalons le temps dans la noix et lui apprenons à passer
le Temps revient dans l’écale

au miroir c’est dimanche,
en rêve on dort,
la Bouche parle vrai.

Mon œil descend jusqu’au sexe de l’Aimée :
nous nous regardons,
nous disons le Sombre
nous aimons l’un l’autre comme Pavot et Mémoire,
nous dormons comme vin dans la coquille
comme la Mer dans le Rayon sang de la lune


Nous restons enlacés à la fenêtre, ils nous voient de la rue

il est temps qu’on sache !
il est temps que la pierre consente à fleurir,
que pour l’Incessant un coeur batte,
il est temps que le Temps soit
il est temps.



Sinon, on peut mesurer la vulgarité de l’époque et le fossé — chaque jour décidément plus profond — entre la « gauche » et la droite en comparant la critique de l’Express…

Citation:
C'est l'histoire d'un radiateur en plan fixe. Muet : ça n'est pas causant, la fonte. Ah non, pardon. Voici un plan fixe sur un caillou. Donc, c'est l'histoire d'un caillou. Qui brille. Brille toujours. À part ça, pas une syllabe, pas un geste. Fondu au noir. Plan fixe sur un type, atone, qui récite du Racine. OK, il faut arrêter les cailloux, les plans fixes et Racine, sinon c'est l'émeute. Le nervous breakdown. La cellule de soutien psychologique. Il y a des limites à tout. Même au vide.

[Je précise que je ne suis pas l’auteur du commentaire sur la même page]


… avec celle de Libération :

Citation:
DE SON APPARTEMENT (à louer ?), est un court (1h10) documentaire de Jean-Claude Rousseau où l'auteur lit Bérénice de Racine tout en vaquant à ses tâches domestiques. Autrement dit, comment ne pas confondre "Hélas ! A quel amour on veut que je renonce!" avec un baril d'une autre lessive ?
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Zahad le rouge
dans le coma profond


Inscrit le: 11 Fév 2010
Messages: 1968

MessagePosté le: Ven Déc 17, 2010 2:42    Sujet du message: Répondre en citant

Moi il m'en restera des cadres et des durées. C'est une sidérante démonstration de découpage et de montage. Au-delà, je ne sais pas, peu d'émotion, un peu d'ennui, je suis resté un peu à la porte. Mais peu de films sortent qui sont si formidablement mis en scène. Je sais, ça pèse pas lourd, comme retour critique, mais je n'ai pas mieux Sad

et puis c'est encore l'essentiel!
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Noonos



Inscrit le: 30 Mar 2010
Messages: 105

MessagePosté le: Ven Déc 17, 2010 10:51    Sujet du message: Répondre en citant

Zahad le rouge a écrit:

et puis c'est encore l'essentiel!


Ca se discute !
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Zahad le rouge
dans le coma profond


Inscrit le: 11 Fév 2010
Messages: 1968

MessagePosté le: Ven Déc 17, 2010 11:02    Sujet du message: Répondre en citant

eh bien dis-moi!
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