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Bicéphale



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MessagePosté le: Lun Jan 16, 2012 19:06    Sujet du message: Répondre en citant

Oxyure a écrit:
QUOIQUE, le "Willem" en grand format chez Futuropolis (le vrai) est peut être au dessus...

Je garde un gros faible pour Éliminations. Le Willem de chez Futuro reste un très très bon livre, et le format de la collection 30/40, impressionnant, sert au mieux les pages (d'ailleurs, hein, ce livre, il est encore trouvable à droite à gauche pour des clopinettes : il ne faut vraiment pas se priver). Mais Eliminations, vraiment, ça a été une gigantesque claque. J'aurai eu plus de mal à me "déplacer" dans le "Willem", j'y aurai rencontré bien plus de résistances.
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MessagePosté le: Lun Jan 16, 2012 19:19    Sujet du message: Répondre en citant

Bicéphale a écrit:


Un Novembre (journal) de François Henninger paru chez Anathème





Celui là il m'intéresse vraiment mais je ne l'ai croisé nulle part !
J'espère le trouver au festival d'Angoulême.
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Bicéphale



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MessagePosté le: Lun Jan 16, 2012 19:23    Sujet du message: Répondre en citant

le yougo' a écrit:
Celui là il m'intéresse vraiment mais je ne l'ai croisé nulle part !
J'espère le trouver au festival d'Angoulême.


Anathème est peu distribué. Mais ils sont présents à Angoulême, oui.
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Oxyure
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MessagePosté le: Lun Jan 16, 2012 22:31    Sujet du message: Répondre en citant

Bicéphale a écrit:
Oxyure a écrit:
QUOIQUE, le "Willem" en grand format chez Futuropolis (le vrai) est peut être au dessus...

Je garde un gros faible pour Éliminations. Le Willem de chez Futuro reste un très très bon livre, et le format de la collection 30/40, impressionnant, sert au mieux les pages (d'ailleurs, hein, ce livre, il est encore trouvable à droite à gauche pour des clopinettes : il ne faut vraiment pas se priver). Mais Eliminations, vraiment, ça a été une gigantesque claque. J'aurai eu plus de mal à me "déplacer" dans le "Willem", j'y aurai rencontré bien plus de résistances.


Ahhhhh mais je te comprends parfaitement !

Pour moi aussi "Eliminations" à une place particulière dans ma bibliothèque, c'est un des premiers livres que j'ai pu acheter à mes début en bande-dessinées, il m'a longtemps fasciné, je l'ai offert à beaucoup, et quand j'ai pu rencontré Willem, je n'ai pas hésité longtemps pour savoir que c'était celui la que j'allais lui demandé de me dédicacer.
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Bicéphale



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MessagePosté le: Mar Jan 17, 2012 2:04    Sujet du message: Répondre en citant

Bosse de Nage a écrit:
Un si grand espace offre à un tel sujet une forme nécessaire de perte de lisibilité

Je tiens à préciser deux-trois choses parce que je suis allé un peu vite en besogne tout à l’heure, je voulais pas aller plus avant (vilaine flemme) et puis ce que tu dis m’y pousse, alors j’y vais : les résistances que je disais avoir rencontré lors de la lecture du "Willem" tiennent sans doute, essentiellement, à un manque de savoir de ma part. La lecture de ces deux albums-frères, le "Willem" et Éliminations, attisent les souvenirs : c’est une entreprise mémorielle que ces deux albums ; pas un mémorial, pas un monument aux morts, mais un travail sur la mémoire, la mémoire du lecteur, la mémoire d’une société, la mémoire du présent, c’est un travail qui met ça en jeu, qui interroge sans relâche la mémoire que nous sommes. "Qu’est-ce que vous saurez lire de moi ?" semble demander chaque page (et combien de pages de bande dessinées osent nous demander ça ?). La lecture n’a de cesse d’attiser des souvenirs, précis, vagues, d’en révéler même, ou bien d'ouvrir sur des zones de vide, des manques de mémoire, des absences à l’histoire et à soi-même, des déficits de ce que nous avons été et de ce que nous sommes. Tout ceci, machinerie infernale que quelques cases suffisent à déclencher (re-découverte essentielle de Willem dans ces albums : la puissance de quelques cases, de leur liaison), venant parasiter la lecture autant que ça lui est nécessaire. Ce qu’on sait, ce qu’on ne sait pas participent activement de la constitution d'une page, au point que certaines pages demeureront quasi-illisibles pour certains (une juxtaposition de cases aléatoires, presque rien) ou bien, a contrario, seront d’une précision sans faille (mais toujours ouverte, appelant à une lecture et puis encore une autre, ne se laissant jamais refermer ou ne cherchant jamais à refermer son lecteur). Et on ne saurait faire l’économie de plonger en soi, en sa mémoire, pour percer (ou échouer à percer) la surface réfractaire de ces pages, l’absence apparente de liaisons entre leurs éléments. Dans le cas du "Willem" géant, faute à mon déficit de mémoire, à mon manque de savoir, les pages me sont souvent restées profondément étrangères, successions de visages, de situations là où Éliminations aura produit plus de résonances (n’allant pas sans conflits, sans pertes, sans hésitations, sans questions). Les résistances que j’ai rencontrées dans le "Willem" n’étaient jamais que la reconnaissance (pas forcément toujours agréable) d’un manque en moi, d’une absence.

Bosse de Nage a écrit:
Resserrées, de telles planches risquent d'être acculées au motif, il n'y a plus assez d'espace pour ricocher, l'oeil agglutine, saisit, unifie.

Oui, doublement oui, mais attention, hein. Eliminations, quand bien même c’est un livre au format bien plus réduit, et ne proposant que des séquences d’une page là où le "Willem" de Futuro propose des séquences plus allongées, ne pâtit en rien, absolument rien, de cette "réduction". Ce que développe Willem dans sa relation "désordonnée" de l’histoire (désordonnée en tant qu’il ne se plie pas à l’ordre attendu et entendu de l’Histoire et qu’il fait de l’Histoire un moment actif de la mémoire plutôt qu’un recueillement figé ou une leçon), et ce qu’il ouvre aussi comme possible de la bande dessinée (Ware, Yokoyama, Bertoyas, Columbia me viennent en tête), est tout aussi présent dans l’album géant que dans Éliminations.
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MessagePosté le: Jeu Fév 16, 2012 14:29    Sujet du message: Répondre en citant



COLOR ENGINEERING de Yuichi Yokoyama, chez Picturebox et Nanzuka Underground.



EXPLORATIONS de Yuichi Yokoyama, aux éditions Matière.

Je reste bloqué ces derniers jours par les deux derniers livres de Yuichi Yokoyama que j’ai lu. Difficile d’en faire le tour alors que pourtant le travail de Yokoyama fonctionne sur une certaine évidence, une immédiateté des « effets », tout semble là dès la première lecture. Mais ça travaille sur des propositions tellement puissantes, qui relèvent tellement d’une expérience de lecture particulière, que nommer et circonscrire se qui se produit dans ces livres est assez ardu. Je sais d’avance que je vais être imprécis et lacunaire, mais enfin on pourra toujours y revenir plus tard. J’en parle donc comme ça vient.
Je l’avais dit avant, je le redis quand même, les livres de Yokoyama se placent dans la pure action, l’acte, le geste, sans situation, sans contexte, sans psychologie, sans sociologie, des personnages sans histoire avancent dans un décor, l’explorent, le transforment, l’observent, et c’est tout. Il s’agit alors de dynamiques, d’enchaînements, de causes et de conséquences, et de distribution de regards, c’est à la fois une réduction radicale de la narration et une ouverture puissante vers une sorte d’état des choses et un élan, une émotion qui vient d’un équilibre fascinant des espaces inventés et de l’énumération des gestes. C’est la description d’un certain être au monde, qui donne un sens fantastique et supérieur à l’observation d’un lieu, à sa transformation violente ou paisible, une évidence et une élévation d’éléments à la fois prosaïques et éternels.
Ça passe principalement par un flirt excitant avec l’abstraction, au niveau du récit donc (ça ne raconte presque rien, une focalisation sur peu de chose qui dégage un espace narratif très vaste) et au niveau formel, ensemble de surfaces, de courbes et de lignes. Il faut lire Yokoyama pour saisir le vertige que peut provoquer le seul fait de comprendre les pages qu’un regard rapide nous avait fait croire impénétrables. La jouissance que produit l’enchaînement des cases lorsque naît la fluidité et la clarté, le rythme rigoureux de certaines pages qui ne fonctionnent sur la griserie de la succession, il y a là un plaisir de lecture d’une singularité que je n’ai rencontré nulle part ailleurs. C’est parfois aussi un moteur du récit, où les personnages investissent un lieu pour se poser la question de ce qu’ils ont en face d’eux, ce que c’est, ce que ça veut dire, d’où ça vient, comment ça marche. La lisibilité et la compréhension des formes sont au centre des deux livres, pas comme un problème mais comme un champ ouvert des possibles (il faudrait aussi reparler de ces images qui envahissent les images, personnages qui photographient les décors pour mieux les regarder, pages de livres d’images qui remplissent le cadre…).
Il n’y a pas de profondeur, de sous texte ou de discours dans ces livres, les personnages, lignes de mouvements ou onomatopées ont le même statut esthétique, tout est également affaire de disposition dans l’espace, aplat ou ligne de fuite, dans une représentation géométrique, des échelles, des distances et des vitesses, et un rapport physique au monde. Ce qui est lourd, ce qui est léger, ce qui tombe, ce qui se casse quand on le frappe, ce qui roule quand on le pousse, la concrétude d’un récit poussé à bout, jusqu’à produire autre chose, une fascination pour une beauté de ce qui est et de ce qui est fait. Chez Yokoyama, on regarde ou on agit, aucune catharsis ou projection, pas d’enjeu, plutôt une totalité, une somme d’évènements, un monde mystérieux décrit dans une éclatante limpidité.

Spoiler:



Dans Color Engineering, il y a en plus la couleur, par ordinateur ou en peinture. C’est à la fois les mêmes questions qui sont travaillées, une continuité, et une dimension supplémentaire. Où la peinture est une surface ou une matière, qui participe elle aussi d’un rapport à l’abstraction, dans le sens où elle fonctionne comme supplément de confusion des formes dans un premier temps (on n’est plus dans un travail sur la ligne), puis comme pivot d’une lisibilité possible dans un deuxième temps. Il y a alors tout un passage de réinterprétation du monde, qui part de photographies de détails, une mise en relief d’éléments banals dans ce qu’ils peuvent comporter d’étrangeté, retravaillés ensuite dans une mise en récit de cette étrangeté, réintégrée dans la logique interne de l’univers de Yokoyama, en une machinerie de mouvements et de couleurs. C’est toute une mise en tension de la lecture. Et c’est alors troublant de voir combien ce monde clos et abstrait arrive sans aucun problème à coexister avec la photographie, comment la captation se fait vider de son potentiel de témoignage et revitaliser de tout un imaginaire pourtant très éloigné dans le spectre des représentations.
Yokoyama, si il veut, il englouti le monde pour mieux le transfigurer, il abaisse les barrières, il n’y a pas deux mondes, il n’y en a qu’un et c’est le sien.

(les scans sont un peu pourris, j'ai pas trouvé mieux sur le net)

Spoiler:







(Le livre chez Picturebox est très bien fait, avec des pages qui se déplient à chaque histoire, bien dense, bien souple, belles couleurs évidement. Ceux de chez Matière sont plus sobres, ils répondent à une maquette propre à la collection, je les trouvais très bien puis je suis tombé sur les éditions américaines de ces livres, couvertures cartonnées, reliures cousues, plus grand format. Je ne les ai pas lu, je ne sais pas si ça fonctionnait, en tout cas ils étaient très beaux.)
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MessagePosté le: Sam Fév 25, 2012 21:43    Sujet du message: Répondre en citant



7 ACCORDEONS de J. & E. Leglatin, Docteur C ; et LL de Mars, chez Bicéphale

C’est une série de 7 petits livres qui est sortie (déjà visible sur le site du terrier, mais en livre c’est bien mieux). Je n’en n’ai lu que 2 pour l’instant, mais étant donné que ce sont les mêmes 4 auteurs qui sont à l’œuvre à chaque fois, je me permets d’en parler déjà.
Il s’agit donc de récit sous contrainte, celle de l’accordéon décrite comme suit :



Cette contrainte est féconde à plusieurs niveaux, et surtout elle permet de développer un mouvement d’expansion puis de rétractation qui produit un rythme beau en lui-même, comme une grande inspiration puis une longue expiration. A l’intérieur de ça, ce sont plusieurs départs, fins, recommencements, répétitions et variations, relectures et déplacements qui ouvrent des pistes et dégagent des perspectives nouvelles à chaque étape. Ça donne une lecture à la fois continue et saccadée très intéressante, donnant lieu à de multiples transformations de sens et de directions du récit.
Dans ce cadre, les auteurs réussissent deux choses fondamentales, tout d’abord faire fonctionner le système de telles sorte qu’il ne soit pas une limite mais un moteur du travail, et surtout développer et explorer les potentiels de la proposition pour excéder le simple exercice et délivrer une œuvre qui fonctionne en elle-même. Alors le jeu des rimes et des correspondances devient très riche, les éléments se répondent et tissent un réseau qui dépasse le simple rebond à l’étape précédente, alors que le récit grossit puis rétrécit la narration aborde des rythmes autonomes, parfois lent puis soudain des accélérés surprenants, parfois enchaînements littéraux et parfois des connections plus lointaines, et il faut par exemple tout le développement du livre entier pour arriver à ce que ces deux cases (belles en soi) soient aussi vibrantes :


(mais du coup vous n’avez pas idée, pour ça il faut acheter le livre)

Les parties entretiennent un rapport très fécond avec l’ensemble, on a toujours la structure en tête tout en détaillant les éléments, c’est très vivant, jamais monolithique ou empêché par la contrainte, et ça propose des modalités de lectures nombreuses et réjouissantes.
Au fond, l’alliance entre une structure stricte et programmée et un développement particulièrement libre et ouvert, dans un déploiement des rapports entre les éléments aussi rigoureux que foisonnants, font toute la réussite des accordéons.
(Faut que je lise les autres maintenant. Oui aussi un mot sur les objets, comme toujours chez Bicéphale, simples et très classes, vraiment bien faits, pas chers et bien pensés, et puis le mode de mise en page inventé par Baladi et Larabie fonctionne très bien).




HABIBI de Craig Thompson, chez Casterman Ecritures

Je n’aime pas beaucoup le travail de Craig Thompson. Je trouve son dessin chichiteux, ses récits mous du genou, un peu niais et geignards, et son idée du corps et du sexe d’un romantisme bête et sirupeux, à la sensualité complètement empêchée (alors même que c’est son sujet principal). Par contre au niveau du simple travail fourni, il ne s’empêche pas du tout, et ses livres sont des gros machins imposants qui laissent deviner toute la lourdeur dont ils sont la promesse.
Pour Habibi, Thompson a une grande ambition, dire toute la force et la beauté du récit, de l’écriture, de l’histoire qu’on raconte. Il convoque alors les textes sacrés, le Coran et la Thora, les Mille et une nuits, le roman d’apprentissage (ça c’est pour la littérature) ; puis la calligraphie, l’enluminure et les formes symboliques (ça c’est pour le dessin) ; puis la structure des récits entremêlé, l’architecture savante des cases dans la page, le jeu entre les récitatifs et les dessins, et la répétition/transformation de formes graphiques (ça c’est pour la modernité de la bande dessinée). Une œuvre totale, une somme, une ode à l’amour et aux contes.



Bon, c’est proprement indigeste, ça chouine à mort, et surtout c’est affreusement désincarné, symbolique à tous les coins de pages, en dehors du temps, de la société, des corps (une détestation du sexe vraiment étonnante), ça hurle une mystique où tout se rejoint, où un sens unique et universel traverse chaque signe et chaque destinée. Ça finit par dire que tout ça n’est au service de rien d’autre que de l’effort fourni. La vie, c’est que du texte. Où un récit est une forme pure, qui n’existe que pour soi, qui ne regarde rien d’autre que lui-même, c’est des pages, de l’encre, des formes et des mots, et c’est tout. Ce qui teint tout ça ensemble, c’est autant le sens caché du cosmos que la colle de la reliure (pas de bol, vu l’édition pourrie de Casterman, ça va pas tenir longtemps).




HITLER de Shigeru Mizuki, éditions Cornélius

Je connais mal Mizuki. Je n’avais pas complètement adhéré à son Nononba, mais assez tout de même pour être tenté par ce Hitler. (Un titre comme ça, ça fait des phrases bizarres, « j’ai bien aimé Hitler », « Hitler est une belle réussite », etc…).
Le livre propose de suivre l’ascension et la chute, et renseigne énormément sur des faits historiques que je ne connaissais pas (Hitler passe d’abord par une phase de clochardisation, lorsqu’il adhère au Parti Ouvrier Allemand ils sont 6 en tout et c’est assez miteux)

Tout ça est étrangement froid, rigoureusement chronologique, on nous décrit toutes les étapes politiques par lesquelles passent son accès au pouvoir, d’une certaine manière il répond à la question de comment cela a pu être possible du stricte point de vue des structures politiques et des supposés garde-fous d’une démocratie.
Au fond Mizuki travaille sur une chose principalement (et je crois dans tous ses livres), la dichotomie entre les décors très travaillés, d’après photo, et les corps et visages qui sont plus proche du burlesque. Dans ce livre là, ça marche particulièrement bien, Hitler et ses lieutenants sont des bouffons tragiques, il y a un rire grave dans tout ça qui fascine, ça fabrique une sorte de cynisme désenchanté (d’autant plus que bien sûr l’histoire est déjà écrite).



Un élément ne cesse de m’interroger tout de même, il n’y est pratiquement pas question de la solution finale, et à peine d’antisémitisme (un mot au début, un autre à la fin). Je n’arrive pas à savoir s’il s’agit d’un choix réfléchi (mais alors pourquoi ? ) ou si c’est dû à une particularité culturelle qui voudrait que la Shoah ne soit pas aussi centrale dans cette histoire pour les japonais ?
En tout cas c’est franchement déroutant, mais ça n’empêche pas que le livre réussi un rapport aux faits historiques à la fois réaliste et grotesque qui m’a accroché.
(boulot d’édition encore impeccable de Cornélius, très beau livre, sec et élégant)
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MessagePosté le: Lun Avr 23, 2012 17:54    Sujet du message: Répondre en citant

Je continue ma poser la question du livre collectif, ce qui fait son unité, ce qui fait que ça se casse la gueule. Le projet commun, l’effort individuel, comment ça se tend et comment ça se résout. J’ai deux exemples récents sous la main. Pour commencer.



Kramers Ergot 8, dirigé par Sammy Harkam, chez Picture Box

J’avais vu les Kramers Ergot 5 et 6, de gros livres tout simples, avec des propositions graphiques et narratives excitantes. Le 7 fut un choc, grand bouquin de 40 x 53 cm, avec un casting de luxe, Chris Ware, Clowes, Jaime Hernandez, Ruppert et Mulot, Ivan Brunetti ou Adrian Tomine. Mais déjà on sentait que le spectaculaire de l’édition l’emportait sur la réussite du contenu, la plupart des auteurs ne sachant pas quoi faire de cette dimension inhabituelle.
Retour à une taille plus classique pour le n°8, mais objet toujours très soigné, avec sa couverture toilée, son dos rond, sa reliure cousue, et certaines de ses pages sur papier glacé. L’intérieur propose pas mal de pages d’auteurs au style presque enfantin. On est en général dans un truc lâché, ou sale, un genre de dessin « moche » si on veut, qui sont loin des choix éditoriaux de la couverture. Ça m’a fait penser au style Heta-uma des japonais (je crois que la traduction c’est « Bon-mauvais ») mais sans la violence et la critique que ça pouvait avoir dans les années 80. Certains parlent d’une « génération beaux-arts » (art school generation). Je n’ai toujours pas compris exactement ce que ça voulait dire, ni ce que ça recouvrait. Je dirai que là où ces artistes se rejoignent, c’est dans une approche distante de la bande dessinée en tant qu’élément faisant partie de la culture populaire, et un investissement du médium par retranchement/ironie, un travail esthétique loin de la question du beau, une narration loin de la question du récit, et un amour du « mal fait » dans le dessin d’où vient pour moi l’impression d’ironie permanente. Pas grand-chose à voir en tout cas avec la forme sobre, classique et précieuse de la couverture. Pourquoi pas après tout, ça aurait pu faire un beau contraste, mais il se trouve que l’anthologie est aussi constituée de pages disons kitch de Robert Beaty, une réédition du sexy Wicked Wanda de Penthouse (sur 40 pages), ou des photos de Takeshi Murata, tout ça dans une esthétique années 70-80, chic et choc, qui ne colle pas du tout avec le reste.
Du coup, l’ensemble est complètement bancal, on ne sait ce qui nous est proposé, quelle ironie ou pas, le livre se contredit avec lui-même et présente certaines pages irréconciliables entre elles. Il semble qu’il y ait un désir de présenter les ponts possibles entre la BD et l’art contemporain (l’intro du livre en parle peut être, je n’ai pas eu le courage de la lire), mais rien ne convainc, rien ne fait famille à part peut être un esprit « second degré » qui effectivement fait lien entre pas mal d’auteurs. Peut être pas le meilleur de ce qui est proposé d’ailleurs. On peut faire la liste des réussites personnelles, les contributions de C. F., de Johnny Ryan, ou de Sammy Harkam lui-même valent le détour, et pas que elles peut être, mais l’ensemble s’écroule sur lui-même, et les riches moyens d’édition déployés semblent un peu ridicules un fois refermé le volume.
(quand même, je mets là des pages de récits qui valent le détour)
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Les Grands Maîtres, par contre, réussit ce que Kramers Ergot 8 rate.



LES GRANDS MAITRES, chez Récits express

Petit format, plus petit mais proche du A5, couverture cartonnée et dos carré, c’est un petit objet à la fois luxueux et modeste, très élégant (là où le Kramers Ergot est proche de la parodie et de la vulgarité en fait), il propose lui aussi un ensemble de contributions très graphiques qui regarde parfois plus vers l’illustration que vers la bande dessinée de pure récit, une certaine fausse naïveté un peu rugueuse, un trash coloré, et tout ça a une densité qui surprend vu la taille du livre. En fait pas mal de pages font penser à ce qui se trouve dans le Kramers Ergot, le travail de Clément Xavier par exemple (sur lequel il faudra revenir pour sa participation aux éditions Na et pour une direction de ce style enfantin assez différente de celle des américains j’ai l’impression). Et s’il y a une forte unité qui fait que l’ensemble se tient très bien, il n’y a pas d’uniformité, chaque proposition garde son identité et sa singularité. Anne Simon, ou Vincent Wagnair, ou Manuel G. Burns par exemple ont des travaux très différents mais s’intègrent parfaitement dans l’ensemble. Peut être que dans le détail, les collaborations présentes dans Les Grand Maîtres sont moins fortes que certaines de Kramers Ergot 8, mais l’équilibre qui est réussit ici ressemble à ce vers quoi tend chaque collectif, une sorte de chaos harmonieux pour le dire un peu niaisement. Où le tout vaut mieux que la somme de ses parties (cela dit sans vouloir diminuer la réussite de pas mal de contributions).

Pour se procurer les titres de Récits Express, je n’ai que cette adresse : http://recitsexpress.blogspot.fr/

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MessagePosté le: Mar Avr 24, 2012 11:45    Sujet du message: Répondre en citant

C’est l’occasion d’ailleurs de dire l’excitation que provoque chez moi le travail de François De Jonge ces derniers temps.





HOW TO FIND FRANCODELPHIA, FRANCO 1, MULTIPORPOSE, SANS TITRES (?), RECITS EXPRESS, tout ça chez Recits express ou tiré du fanzine George (j'imagine, tout n'est pas clair). Et puis aussi la revue Lapin pour les numéros 37 à 44.

S’il est visiblement au centre du travail éditorial de ce Les Grands Maîtres, il est aussi l’auteur des pages les plus réussies du livre. Les livres de De Jonge réunissent des mouvements opposés mais pas contradictoires : une grande précision et un grand bordel, et une attention au détail du dessin (ça fourmille) dans un travail très présent sur l’architecture générale de la page. Pour faire de la psychologie de comptoir, les pages laissent autant de place à la pulsion qu’au surmoi, au bouillonnement rageur et à la structure la plus rigoureuse. Ce balancement constant du lecteur entre le macro et le micro, entre l’organisation fascinante de la page (ou double page parfois) en répétition, symétrie et rimes géométriques ; et la vigueur sans contenance (apparente) du dessin, se fait d’une manière inédite pour moi (ça rappelle peut être certaines pages de Olof Berg). Il y a là une cohabitation d’énergies a priori inconciliables qui m’enthousiasme. Tout ça développe une tension entre un contenant ordonné et un contenu qui déborde, et c’est peut être de cette inclinaison artistique que vient la réussite du collectif Les Grands Maîtres. C’est très cohérent en tout cas que thématiquement, De Jonge aborde le corps ou la maison comme des contenants en crise, en danger de trop plein (tête énorme, multiplication des corps, amputation, logement défaillant…), mais regarde aussi beaucoup vers la cartographie, le recensement des éléments, leur alignement, il y a parfois une prédominance du lieu, du décors, qui fonctionne comme une structure et une organisation graphique de ses pages. Par ailleurs tout ça n’est pas rigide, les énergies se déplacent, s’opposent ou se rencontrent en fonction des récits. De Jonge fait l’effet d’être un auteur profondément organique et cérébral. Chez moi ça provoque un court circuit qui libère ma lecture. Que les récits de De Jonge soient drôles, effrayants, énervés ou déprimés, ma lecture est à chaque fois euphorique.
Je redonne les adresses où on peut trouver des choses :
http://recitsexpress.blogspot.fr/
http://george-leblogdegeorge.blogspot.fr/

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MessagePosté le: Jeu Avr 26, 2012 15:20    Sujet du message: Répondre en citant



OVNIS A LAHTI de Marko Turunen, cher FREMOK

Marko Turunen est un artiste Finlandais. Son livre est le recueil d’une série qu’il a dessiné de 2005 à 2011. Son livre est édité par Frémok, et ils ont fait un joli travail. La couverture argentée, réfléchissante, semi-souple, à la fois clinquante et sobre comme un monument installe une sorte de léger mauvais goût très beau qui m’a donné envie.
Je parlais au sujet de Kramers Ergot 8 de cette génération Beaux Arts (bon faudra trouver autre chose comme nom, et puis faudra définir ce que ça veut dire. Comme je sais pas très bien moi-même, j’avance par approximation) qui travaille à partir d’un matériau pop et populaire, une approche de la bande dessinée dégradée et détachée, ninja, super héros, zombies, etc, qui se concentrait plus sur la démarche, le geste ironique, que sur le récit. Et je me demandais si dans le même domaine, face au même matériau, des artistes s’étaient engagés différemment.
Marko Turunen bosse assurément à partir de la même culture (il a par ailleurs fait lui aussi les beaux arts, et il a un diplôme en architecture). On y trouve des aliens, des super héros, des catcheurs démons, des Pokémons, des cow boys. Le dessin d’ailleurs regarde parfois vers Frank Miller ou Mike Mignola, tout en ayant une rudesse, un trait à la plume ou au pinceau plein d’aspérité et de rugosité. Il faut dire combien le dessin de Turunen est fort, profond et éclatant ; et combien il participe à la réussite du livre, comment dans les pages les moins réussies c’est lui qui retient l’attention quoi qu’il arrive. Il y a d’ailleurs quelque chose de dynamique dans ces pages, un bouillonnement du noir et du blanc, une ouverture vers l’action et le fantastique. Mais aussi un certain statisme, un mouvement figé ou empêché, qui donne à l’ensemble une étrange vibration.
Il se passe un peu la même chose au niveau du récit. Intrus, le personnage principal, est un extra-terrestre avec un trou dans la tête, sa mère est un petit bonhomme enflammé, sa femme une super héroïne géante au costume sado-maso, et certaines pages du livre sont pleines de promesse d’aventure et d’action. Il y a une aventure de «héros sauvage du far west », le récit «l’étonnant Alien-man» annonce « à ne pas rater ! De formidables aventures t’attendent », et chacun des 4 comics qui composent le livre commence avec une présentation par ce qui semble être une sorte de Uatu « Le Gardien » bien connu des lecteurs de Jack Kirby.



Pourtant, chaque court récit, du strict point de vue des péripéties, est d’une grande banalité. C’est le quotidien des personnages, leurs préoccupations journalières (un problème avec la poste, un travail ennuyeux, une mère envahissante…), ponctués de digressions fantastiques ou allégoriques. Turunen explore au maximum l’écart plus ou moins mouvant entre une représentation fantastique et spectaculaire, et un récit, un ton dans la narration, assez plat et distancié. Ce point de départ formel très simple permet mille variations, mille étrangetés, et mille points de reconnaissances, de rencontres avec le monde tel qu’on le connaît. Finalement il n’y a pas deux mondes qui se croisent, c’est le même, et on aurait tord de vouloir faire la part des choses entre absurde, fantastique, et réel, c’est le même mouvement, le même regard. Au bout du compte, ce regard emporte le lecteur par sa pudeur, une légère fragilité, quelque chose de l’enfance qui n’a rien à voir avec les super héros, de bien plus central, qui fait que lorsque le drame pointe, l’émotion chez moi fut forte.
On avait cru entrer dans un livre avec une posture, un principe de mise en scène, et en fait on a lu une œuvre d’une étrange sensibilité, un truc bouleversant sur la distance et le collage, et le nécessaire aller retour entre les deux.

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MessagePosté le: Mer Mai 02, 2012 7:01    Sujet du message: Répondre en citant

Sans les couleurs outrancières habituelles, sont travail à l'air nettement plus lisible en tout cas.
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MessagePosté le: Lun Juin 04, 2012 21:28    Sujet du message: Répondre en citant



MOMENTS CLES DE L’ASSOCIATION, de François Ayroles, chez L’Association justement.

François Ayroles n’en est pas à son premier essai dans le genre. Il avait déjà sorti deux livres, 28 Moments clés de l’histoire de la bande dessinée, puis Nouveaux moments clés de l’histoire de la bande dessinée. A chaque fois le même principe : Une phrase qui nomme un moment clé, un dessin au dessus qui l’illustre. Le principe permet des décalages et des raccourcis drôles, ou tendre, ou ironiques. Décalage entre le texte et le dessin (pour le moment clé « Jean-Claude Forest se passionne pour les illustrés », le dessin représente un enfant qui tombe en arrêt devant la plastique de la vendeuse de journaux), et aussi décalage entre le ton de manuel d’histoire de l’art et la trivialité des moments clés énoncés.
Ces deux petits livres étaient réussis en ce qu’il fonctionnaient sur une très juste (même si partielle) compréhension des œuvres et des auteurs cités, l’humour marchant d’abord sur la précision du trait caricaturé (le côté livre d’histoire de la bd fonctionnait pas si mal du coup, cette histoire en valant bien une autre). La limite étant qu’une bonne connaissance de tout ça était requise au préalable, sans quoi les gags étaient réduits à ce qu’ils sont au fond, une private joke.



Pour ce livre sur l’Association, c’est exactement ce qui se passe accentué par le fait qu’on ne fait plus l’histoire de la bande dessinée mais l’histoire d’une maison d’édition. Le champ se rétrécie, l’exercice déjà anecdotique se recroqueville un peu plus. Avec une gène supplémentaire, puisque Ayroles est entré il y a peu de temps au comité de lecture de la structure. Tout ça sonne alors un peu comme un dû payé à ses prédécesseurs, comme un genou posé au sol pour faire la révérence aux anciens boss du groupe dont il fait tout juste partie (avec quand même une pointe de moquerie, très bien dosée). C’est certainement un souci de calendrier, Ayroles publie à L’Association depuis longtemps, le livre serait sorti plus tôt ou plus tard et ça passait mieux.
Et puis voilà un énième livre pour faire l’histoire de L’Association. Ça bégaye à mort, ça tourne en rond, on ressasse encore une fois. Chez moi ça fait directement écho au retour des anciens associés qui criaient à tue tête qu’ils allaient revenir aux fondamentaux de la boite, revenir à la ligne historique, on allait retrouver L’Association d’antan. C’est exactement ça finalement, un perpétuel retour sur le passé qui n’invente plus.
Je me dis que c’est un passage, comme une manière de s’assurer de ses marques pour mieux se lancer dans l’inconnu, explorer, découvrir. Moi j’attends que ça.


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MessagePosté le: Mer Juin 06, 2012 11:54    Sujet du message: Répondre en citant



ALEC de Eddie Campbell, éditions ça et là.

Le livre regroupe l’ensemble des récits autobiographiques d’Eddie Campbell qui s’étendent sur quelque chose comme 30 ans (j’ai cru comprendre qu’il était un genre de précurseur du genre). Petits évènements, groupe d’amis, description du milieu de la bande dessinée indépendante anglo-saxonne, vie de famille, tout ça est raconté dans une sorte de distance mi-nostalgique mi-ironique, avec une écriture qui trouve un équilibre entre le lyrisme et la description froide, et ce petit décalage qui veut que le récit se fait à la troisième personne du singulier (voire à la deuxième parfois), que le personnage ne s’appelle pas Eddie Campbell mais Alec McGarry, qui dit bien toute la délicatesse de cette autobiographie, la création d'un écart où tout peut s'engouffrer. Au bout de quelques pages c’est quelque chose de l’ordre du charme qui se produit (mais un charme très fort, une élégance un peu dandy, un style léger et angoissé), qui fait qu’on traverse les 600 pages sans que l’épaisseur du livre ne se fasse sentir, sans que la somme n’impose quoi que ce soit de monumental.

Tout fonctionne sur le ton particulier de la narration, qui avance par touches, dans un art de l’ellipse et de l’accumulation de détails, le passage d’une case à l’autre se fait comme une petite danse. Le dessin, souvent au bord du croquis, mais en même temps très précis et vibrant, développe une tension avec le texte, semblant à la fois évoluer en parallèle, chacun dans son coin, tout en construisant avec lui un réseau inextricable. Rien d’important ne semble arriver, et pourtant tout arrive, une vie se déroule sans qu’on ai pu démêler le grave du léger, sans qu’on ai vu s’il y avait un centre ou pas.

C’est tout un rapport au temps qui se joue peut être là, à la vie qui passe comme une éternité et une seconde (évidemment cet effet n’est valable que pour l’intégrale, énorme pavé qui arrive d’un coup et nous balance ces 30 ans de travail en une reliure), on a sauté d’une anecdote à une autre et on n’a pas vu que les cheveux étaient devenu blanc. Petit à petit, une mélancolie s’est installée, quelque part tout ça fut vain, mais en même temps ça valait la peine d’être raconté, ne serait ce que pour ce sentiment doux-amer pas si facile à travailler, un sourire en coin par-dessus un regard triste.




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MessagePosté le: Jeu Sep 20, 2012 13:42    Sujet du message: Répondre en citant



Je me suis lancé dans le travail de CF sans n’y rien connaître, sur les conseils de Bicéphale. Et je me suis retrouvé dans un entre deux déstabilisant, un monde qui attrape par le connu, la SF, l’héroïc fantasy, et qui rapidement m’a perdu, laissé au milieu d’une multitude de personnages, de situations et de relations que je ne comprenais pas. L’impression de commencer une histoire en plein milieu, sans que personne ne prenne la peine de m’expliquer de quoi il en retourne. Les premières pages donnent bien une carte du lieu de l’action, et les portraits d’une vingtaine de personnages à venir, c’est un leurre, ça n’aide pas plus que ça.
Les 3 tomes (pour l’instant) de Powr Mastr se donnent l’air de construire un univers cohérents, des actions et des péripéties qui s’enchaînent, la vérité c’est que ça ne prend jamais la forme d’un tout déchiffrable. Il y a une tendance dans le genre SF ou fantasy à travailler le tableau général, à proposer un monde qui se tient dans ses moindres détails, à viser une sorte de réalisme dans le fantastique et que tout se tienne politiquement, géographiquement, historiquement. CF lui ne construit aucune vision d’ensemble, ne relie les points que de très loin, et laisse énormément de blanc dans sa narration. L’ensemble prend plutôt des allures de mouvement constant, de glissement d’un état à un autre. Tout se déplace, tout se transforme, les personnages changent physiquement, le ton du livre se meut entre comédie, onirisme, réalisme des sentiments, psychologie, émotion, action, absurde. Le dessin lui même est dans un état d’équilibre et de déséquilibre, parfois les formes sont esquissée, parfois elle sont plus précises, souvent c’est particulièrement élégant. Le dessin alors se permet d’évoluer entre maladresse et précision, une case semblera bâclée puis la suivante, en quelques traits miraculeusement équilibrés, dégage une finesse et une grâce comme par accident.
Le rapport au genre lui même est fluctuant. Si les livres renvoient souvent à des figures connues (magiciens, robots, elfes), CF les travaille comme si rien n’avait existé avant lui. C’est comme si ces figures empruntées venaient de naitre, elles n’existaient pas avant. CF ne les réinvente pas, il les invente et dans l’instant elles sont autre chose que ce qu’on pouvait anticiper. Les références ne sont pas des bases sur lesquelles le récit repose, elles sont inutiles, vides d’enjeu. Qu’il y ait eu des fées et des sorciers ailleurs ne regarde pas Powr Mastrs, ça appartient à une autre dimension, c’est presque un accident. Ça ne sert à rien, à part peut être à se rendre compte rapidement que CF est ailleurs. Ce rapport naïf ou (faussement) vierge aux figures qu’il utilise vaut aussi pour l’ensemble de son travail, qui développe quelque chose de l’enfance dans un premier degré du merveilleux. Pas de distance ou d’ironie, mais plutôt un rapport simple et direct retrouvé avec le fantastique, à mille lieues de la démarche geek. CF ne procède pas par accumulation ou empilement ou détournement des codes du genre, il fait sans, pour mieux faire naitre quelque chose de complètement nouveau, presque sans mémoire, brut, dans une évidence de son geste. Il aborde un territoire comme s’il était vierge, et ses livres semblent sans conscience, une surface qui ouvre sur un état de bouillonnement instable mais paisible, un récit de l’instant où chaque personnage abandonné sera retrouvé plus ou moins au même point, tout est simultané, ça ne bouge que si l’on regarde. Ça crée un rythme très particulier, un foisonnement presque immobile où il y a tant de choses à raconter mais où l’on prendra le temps de s’arrêter sur chaque personnage, lui donner le temps dont il a besoin, pour repartir ailleurs ensuite. De fait rien n’avance vraiment, mais rien n’a besoin d’avancer, tout ce qui compte est ce qui est raconté dans l’instant. On circule ainsi d’une histoire à une autre comme d’un lieu à l’autre, et les relations entre ces lieux nous sont pratiquement inconnues (mais elles existent pourtant, il ne s’agit pas d’une suite de sketches déconnectés). Du coup une focalisation s’opère à la lecture sur chaque séquence, qui possède son mouvement interne propre. Et il y a une grande beauté là dedans. CF crée des images, des personnages et des situations parfois bouleversants (le véhicule qui change de forme à chaque seconde, l’homme dans l’oubliette…) et il y a une belle liberté dans cette certaine abstraction du monde et des enjeux, qui donne l’impression (certainement fausse) que l’auteur ne sait pas ce qu’il fait, que la force de son travail est née du hasard.

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Mathurine
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MessagePosté le: Mar Oct 30, 2012 4:15    Sujet du message: Répondre en citant

Bicéphale a écrit:
Ce que réalise Ware avec ses Acme 16 à 20 n’a pas d’équivalent. Chaque livre, inlassablement, repousse les limites d’un espace étroit dont les bornes n’ont pourtant de cesse d’être énoncées, représentées, dûment épousées. Ware poursuit une expansion consciencieuse, un approfondissement méticuleux et fragile. L’espace dégagé paraît minuscule, insignifiant, et Ware en dévoile, page après page, les infinis possibles.


Carton a écrit:
Pour Chris Ware, depuis le ACME n° 18 (et surtout le 19) ce type me bouleverse. Voir ses planches sur grand écran, pendant plusieurs minutes à Beaubourg, on a pu vraiment se rendre compte de l'équilibre de tout ça, les réseaux de cases, le blanc et le parcours de l’œil là dedans, les personnages et les signes, les changements d'échelles, c'est chargé d'une émotion qui m'impressionne.


Spoiler:





Je viens d'achever la lecture du monstre Building Stories et pour moi qui ne suivait plus le travail de Chris Ware depuis quelques années, faute de me procurer les derniers Acme Novelty Library, c'est une véritable révélation de l'approfondissement et de l'enrichissement qu'il a pu connaître, de la force émotionnelle désespérée qu'il parvient à structurer inlassablement (on parle de quelque chose comme 250 pages de bande dessinée fragmentées en 14 feuilles, fascicules, livres, livrets et un plateau de jeu réunis dans une grande boîte).

Spoiler:



Effectivement ce type de composition en double page avec une figure centrale relève de quelque chose comme d'un génie mélancolique, d'autant qu'aucune d'entre elles, alors qu'elles reviennent de nombreuses fois à des échelles différentes, ne rejouent exactement les mêmes parcours et n'aboutissent à la même émotion. Sur les 250 pages de bande dessinée, dont les choix de compositions restent limitées, aucune n'est une redite des autres, chacune prend sa place et sa spécificité dans un ensemble, qui ne connait pas d'achèvement,
Spoiler:




Branford The Best Bee In The World, qui a droit à un journal et un comics, se fait une place à part par une sorte de nonsense entomologique encastré dans compositions de planches et des synthèses géométriques hystériques.

L'appel du vide existentiel qui couvre la majorité des pages contenues dans cette apparente boîte de jeu colorée me fera écrire que le succès critique de Chris Ware n'a toujours rien d'usurpé.

/edit : ici de nombreuses images des planches originales de Building Stories en bonne qualité :
http://www.hammergallery.com/artists/ware/ware_chris.htm
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