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Je ne crois pas aux déclarations du genre « rien ne sera plus jamais comme avant »

 
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Trolope



Inscrit le: 08 Fév 2020
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Localisation: United State

MessagePosté le: Dim Mai 10, 2020 1:39    Sujet du message: Je ne crois pas aux déclarations du genre « rien ne sera plu Répondre en citant

Il faut bien l’avouer : la plupart des messages échangés ces dernières semaines sur les forums avaient pour premier objectif de vérifier que l’interlo­cuteur n’était pas mort, ni en passe de l’être. Mais, cette vérification faite, on essayait quand même de dire des choses intéressantes, ce qui n’était pas facile, parce que cette épidémie réussissait la prouesse d’être à la fois angoissante et ennuyeuse. Un virus banal, apparenté de manière peu prestigieuse à d’obscurs virus grippaux, aux conditions de survie mal connues, aux caractéristiques floues, tantôt bénin tantôt mortel, même pas sexuellement transmis­sible : en somme, un virus sans qualités. Cette épidémie avait beau faire quelques milliers de morts tous les jours dans le monde, elle n’en produisait pas moins la curieuse impression d’être un non-événement. D’ailleurs, mes estimables coforumeurs (certains, quand même, sont estima­bles) n’en parlaient pas tellement, ils préféraient aborder la question du confinement ; et j’aimerais ici ajouter ma contribution à certaines de leurs observations.

Film Freak (du Forum de Film de Culte). Un cinéphile de toute façon ça ne voit pas grand monde, ça vit en ermite avec ses fichiers .avi, le confinement ne change pas grand-chose. Tout à fait d’accord, Film Freak, question vie sociale ça ne change à peu près rien. Seulement, il y a un point que tu oublies de considérer: un cinéphile, ça a besoin d'aller à la Fnac. Essayer de voir un film si l’on n’a pas la possi­bilité, dans le mois, de se livrer à plusieurs visites à la Fnac, est fortement à déconseiller : la tension nerveuse accumulée ne parvient pas à se dissou­dre, les pensées et les images continuent de tourner douloureuse­ment dans la pauvre tête du spectateur, qui devient rapidement irritable, voire fou. La seule chose qui compte vraiment ce sont les rayons pleins de livres et de DVD, qui n’ont pas pour première raison d’être de faire apparaître des envies neuves (encore que cela puisse, dans un second temps, se produire), mais de calmer les conflits induits par le choc des fichiers sur le bureau de son Mac.

Vieux-Gontrand (belge). La situation présen­te lui fait fâcheusement penser à un message que j'avais posté sur enculture du temps où ce forum existait, mais il ne le retrouve pas.

Alors là je me suis dit que c’était bien, quand même, d’avoir des lecteurs. Parce que je n’avais pas pensé à faire le rapprochement, alors que c’est tout à fait limpide. D’ailleurs, si j’y repense, c’est exacte­ment ce que j’avais en tête à l’époque, concernant l’extinction de l’humanité.

Castorp (du Forum de Film de Culte). Des propositions politiques intéressantes naîtront-elles, inspirées par cette période ? Il se le demande.

Je me le demande aussi. Je me suis vraiment posé la question, mais au fond je ne crois pas. Sur le SIDA on a eu beaucoup de choses, au fil des décennies, le SIDA a beaucoup intéressé les hommes politiques. Là, j’ai des doutes. Déjà, je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre « rien ne sera plus jamais comme avant ». Au contraire, tout restera exactement pareil. Le déroulement de cette épidé­mie est même remarquablement normal. L’Occident n’est pas pour l’éternité, de droit divin, la zone la plus riche et la plus développée du monde ; c’est fini, tout ça, depuis quelque temps déjà, ça n’a rien d’un scoop. Si on examine, même, dans le détail, la France s’en sort un peu mieux que l’Espagne et que l’Italie, mais moins bien que l’Allemagne ; là non plus, ça n’a rien d’une grosse surprise.

Le coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certai­nes muta­tions en cours. Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques, qu’elles soient mineures (la vidéo à la demande, le paiement sans contact) ou majeures (le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux) ont eu pour principale conséquence (pour principal objectif ?) de dimi­nuer les contacts matériels, et surtout humains. L’épidémie de coronavirus offre une magni­fique raison d’être à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines. Ce qui me fait penser à une comparaison lumineuse que j’ai relevée dans un texte anti-PMA rédigé par un groupe d’activistes appelés « Les chim­panzés du futur » (j’ai découvert ces gens sur Internet ; je n’ai jamais dit qu’Internet n’avait que des inconvénients). Donc, je les cite : « D’ici peu, faire des enfants soi-même, gratuitement et au hasard, semblera aussi incongru que de faire de l’auto-stop sans plateforme web. » Le covoiturage, la colocation, on a les utopies qu’on mérite, enfin passons.

Il serait tout aussi faux d’affirmer que nous avons redécouvert le tragique, la mort, la finitude, etc. La tendance depuis plus d’un demi-siècle maintenant, bien décrite par Philippe Ariès, aura été de dissimuler la mort, autant que possible ; eh bien, jamais la mort n’aura été aussi discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt (ou on les inci­nère ? l’incinéra­tion est davantage dans l’esprit du temps), sans convier person­ne, en secret. Morts sans qu’on en ait le moindre témoignage, les victimes se résument à une unité dans la statistique des morts quoti­diennes, et l’angoisse qui se répand dans la population à mesure que le total augmente a quelque chose d’étrangement abstrait.

Un autre chiffre aura pris beaucoup d’importance en ces semaines, celui de l’âge des malades. Jusqu’à quand convient-il de les réanimer et de les soigner ? 70, 75, 80 ans ? Cela dépend, apparem­ment, de la région du monde où l’on vit ; mais jamais en tout cas on n’avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n’a pas la même valeur ; qu’à partir d’un certain âge (70, 75, 80 ans ?), c’est un peu comme si l’on était déjà mort.

Toutes ces tendances, je l’ai dit, existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifes­ter avec une évidence nouvelle. Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire.
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Conufs
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MessagePosté le: Lun Mai 11, 2020 19:43    Sujet du message: Re: Je ne crois pas aux déclarations du genre « rien ne sera Répondre en citant

Trolope a écrit:
Il faut bien l’avouer : la plupart des messages échangés ces dernières semaines sur les forums avaient pour premier objectif de vérifier que l’interlo­cuteur n’était pas mort, ni en passe de l’être. Mais, cette vérification faite, on essayait quand même de dire des choses intéressantes, ce qui n’était pas facile, parce que cette épidémie réussissait la prouesse d’être à la fois angoissante et ennuyeuse. Un virus banal, apparenté de manière peu prestigieuse à d’obscurs virus grippaux, aux conditions de survie mal connues, aux caractéristiques floues, tantôt bénin tantôt mortel, même pas sexuellement transmis­sible : en somme, un virus sans qualités. Cette épidémie avait beau faire quelques milliers de morts tous les jours dans le monde, elle n’en produisait pas moins la curieuse impression d’être un non-événement. D’ailleurs, mes estimables coforumeurs (certains, quand même, sont estima­bles) n’en parlaient pas tellement, ils préféraient aborder la question du confinement ; et j’aimerais ici ajouter ma contribution à certaines de leurs observations.

Film Freak (du Forum de Film de Culte). Un cinéphile de toute façon ça ne voit pas grand monde, ça vit en ermite avec ses fichiers .avi, le confinement ne change pas grand-chose. Tout à fait d’accord, Film Freak, question vie sociale ça ne change à peu près rien. Seulement, il y a un point que tu oublies de considérer: un cinéphile, ça a besoin d'aller à la Fnac. Essayer de voir un film si l’on n’a pas la possi­bilité, dans le mois, de se livrer à plusieurs visites à la Fnac, est fortement à déconseiller : la tension nerveuse accumulée ne parvient pas à se dissou­dre, les pensées et les images continuent de tourner douloureuse­ment dans la pauvre tête du spectateur, qui devient rapidement irritable, voire fou. La seule chose qui compte vraiment ce sont les rayons pleins de livres et de DVD, qui n’ont pas pour première raison d’être de faire apparaître des envies neuves (encore que cela puisse, dans un second temps, se produire), mais de calmer les conflits induits par le choc des fichiers sur le bureau de son Mac.

Vieux-Gontrand (belge). La situation présen­te lui fait fâcheusement penser à un message que j'avais posté sur enculture du temps où ce forum existait, mais il ne le retrouve pas.

Alors là je me suis dit que c’était bien, quand même, d’avoir des lecteurs. Parce que je n’avais pas pensé à faire le rapprochement, alors que c’est tout à fait limpide. D’ailleurs, si j’y repense, c’est exacte­ment ce que j’avais en tête à l’époque, concernant l’extinction de l’humanité.

Castorp (du Forum de Film de Culte). Des propositions politiques intéressantes naîtront-elles, inspirées par cette période ? Il se le demande.

Je me le demande aussi. Je me suis vraiment posé la question, mais au fond je ne crois pas. Sur le SIDA on a eu beaucoup de choses, au fil des décennies, le SIDA a beaucoup intéressé les hommes politiques. Là, j’ai des doutes. Déjà, je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre « rien ne sera plus jamais comme avant ». Au contraire, tout restera exactement pareil. Le déroulement de cette épidé­mie est même remarquablement normal. L’Occident n’est pas pour l’éternité, de droit divin, la zone la plus riche et la plus développée du monde ; c’est fini, tout ça, depuis quelque temps déjà, ça n’a rien d’un scoop. Si on examine, même, dans le détail, la France s’en sort un peu mieux que l’Espagne et que l’Italie, mais moins bien que l’Allemagne ; là non plus, ça n’a rien d’une grosse surprise.

Le coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certai­nes muta­tions en cours. Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques, qu’elles soient mineures (la vidéo à la demande, le paiement sans contact) ou majeures (le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux) ont eu pour principale conséquence (pour principal objectif ?) de dimi­nuer les contacts matériels, et surtout humains. L’épidémie de coronavirus offre une magni­fique raison d’être à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines. Ce qui me fait penser à une comparaison lumineuse que j’ai relevée dans un texte anti-PMA rédigé par un groupe d’activistes appelés « Les chim­panzés du futur » (j’ai découvert ces gens sur Internet ; je n’ai jamais dit qu’Internet n’avait que des inconvénients). Donc, je les cite : « D’ici peu, faire des enfants soi-même, gratuitement et au hasard, semblera aussi incongru que de faire de l’auto-stop sans plateforme web. » Le covoiturage, la colocation, on a les utopies qu’on mérite, enfin passons.

Il serait tout aussi faux d’affirmer que nous avons redécouvert le tragique, la mort, la finitude, etc. La tendance depuis plus d’un demi-siècle maintenant, bien décrite par Philippe Ariès, aura été de dissimuler la mort, autant que possible ; eh bien, jamais la mort n’aura été aussi discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt (ou on les inci­nère ? l’incinéra­tion est davantage dans l’esprit du temps), sans convier person­ne, en secret. Morts sans qu’on en ait le moindre témoignage, les victimes se résument à une unité dans la statistique des morts quoti­diennes, et l’angoisse qui se répand dans la population à mesure que le total augmente a quelque chose d’étrangement abstrait.

Un autre chiffre aura pris beaucoup d’importance en ces semaines, celui de l’âge des malades. Jusqu’à quand convient-il de les réanimer et de les soigner ? 70, 75, 80 ans ? Cela dépend, apparem­ment, de la région du monde où l’on vit ; mais jamais en tout cas on n’avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n’a pas la même valeur ; qu’à partir d’un certain âge (70, 75, 80 ans ?), c’est un peu comme si l’on était déjà mort.

Toutes ces tendances, je l’ai dit, existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifes­ter avec une évidence nouvelle. Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire.


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