Pacifrictions (Albert Serra, 2022)

[Castorp]

Du mal avec ce film politique qui entreprend de faire de Tahiti une allégorie de la situation politique en France avec la violence des autochtones face à la résistance des autorités. Sur ce point, je trouve le film passionnant, principalement parce que Serra parvient à expliciter en quoi l'État français est profondément différant de la barbarie indigène, dont il ne comprend pas l'essence, ce qui le rend complètement incapable de ne pas se retrouver en conflit frontal avec les Polynésiens.
Je suis beaucoup moins convaincu par la dimension humaine du film, profondément alourdie par la nullité crasse du personnage principal, Haut-Commissaire de la République raté qui passe 2h45 à se curer le nez "parce qu'il a un rhume", auquel il est absolument impossible de s'attacher, tant il est insupportable. Et comme Serra (qui s'essaie ici de façon foireuse au thème du double cinématographique) est plus doué pour poser un cadre et lui donner vie que pour dépeindre l'âme humaine, ce personnage devient vite relou.

Bref, mitigé... mais malgré tout content de l'avoir vu.

[Abyssin]

J'aime bien Albert Serra, en particulier comme personnage dans Balle perdue 12 qui m'avait beaucoup impressionné à l'époque, et même comme compositeur avec Le grand bleu il y avait de quoi picorer mais là je suis circonspect devant le résultat. Tout commence par un enchainement d'images sans musique. On est devant une oeuvre radicale qui donne l'impression que Serra fait son Louis Lumière. Il y a quelques jolies images poétiques et une ambiance mortifère qui fait mouche dans certaines scènes mais c'est bien maigre. On a du mal à voir où veut aller Serra. Pourquoi parler de la génération de nos arrière-grands-parents et de la IIIème République alors qu'il semble ne rien y comprendre et en livre une imagerie ringarde? Il faut voir les interventions de Jean Jaurès, accro aux pipes. De l'histoire à deux balles qui devient presque comique quand on fait attention aux dialogues particulièrement ratés. On entend des trucs du style "On parlera la semaine prochaine de l'affaire Dreyfus dont l'antisémitisme a été mal compris" qui confinent quasi au nanar intello. Les dialogues se veulent poétiques mais ils font involontairement rire. Surtout, le film n'a ni queue ni tête, même pas un poil de cul. Quel est le projet de Serra? Perso je l'ignore, beaucoup de mal à voir du sens et de la cohérence dans cet enchainement de scènes que rien ne semble lier. Il faut avouer qu'on ne s'ennuie pas et que c'est même sans doute le film de l'année, mais c'est catastrophique et une inquiétante sortie de route pour le cinéaste.

4/6

[Castorp]

Va falloir avoir un peu d'honnêteté, là... C'est pas du tout Serra qui se radicalise, il est égal à lui-même, c'est toi qui as changé (qui te "radicalises", si tu veux), et c'est toi qui as des critères dont tout le monde se cogne. Et puis aussi, Serra se mondialise, et s'éloigne de plus en plus de ses origines, l'Espagne, qui n'est plus le centre du monde (et donc forcément, ses "core values" sont plus les mêmes).

[Abyssin]

Je sais pas ce que t'essaies de me faire dire, en fait.
Le Chant des oiseaux, La Mort de Louis XIV, c'était pas rose non plus, et Albert Serra s'est couché sur la qualité à de nombreuses reprises à ce moment-là. Y avait bien quelques voix critiques à l'époque, mais on était loin de l'espèce d'indignation généralisée qui règne dans certaines milieux actuellement, comme si tout à coup, tout le monde avait découvert que Serra, c'est de la merde.

Le fait est que les seuls à piquer leur crise actuellement, ce sont des gens comme toi, et le reste du monde se satisfait très bien de ce nouveau Serra.
Est-ce que ça donne raison à Serra ? Bien sûr que non, et surtout pas de ton point de vue. Est-ce que ça explique sa position et son désir de faire un film ? Bien sûr que oui.