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L'Atelier (Laurent Cantet, 2017)
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Hello--Kitty
dans le coma profond


Inscrit le: 03 Nov 2010
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MessagePosté le: Jeu Oct 12, 2017 22:16    Sujet du message: Répondre en citant

Tout ce que je viens de lire est très juste. Rien à ajouter pour le moment.
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valzeur
dans le coma profond


Inscrit le: 30 Aoû 2015
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MessagePosté le: Ven Oct 13, 2017 1:03    Sujet du message: Répondre en citant

Hello les Hommes,

Je suis plutôt d'accord avec Baldanders, à une réserve près, je ne pense pas que le personnage de Matthieu Lucci soit "fasciste", stricto sensu. Il est mimétique - comme d'ailleurs les autres jeunes qui répètent les âneries du camp adverse - souffre d'ennui adolescent, rêve d'être un héros et de voyager (d'où ce côté bravache qu'il exprime entre autres par la "provocation"). Le mimétisme me semble la clef du personnage - cf le premier plan sur le jeu vidéo qui présente plusieurs qualités ou états que le film déroulera en l'appliquant très précisément au jeune homme: désir d'héroïsme, solitude, surplomb, gratuité, ce qu'on retrouvera tout au long du film - et comme le guerrier du jeu, Antoine tirera à blanc (ou du moins, en l'air).
S'il ressemble à un autre jeune homme ennuyé du cinéma français, c'est peut-être au personnage de Téchiné joué par Stéphane Rideau dans les Roseaux sauvages et - surtout - Loin, expurgé toutefois de toute sexualité ambivalente, à la place ces pseudo-convictions politiques auxquelles je ne crois pas une seconde (ne les quitte-t-il pas d'ailleurs aussi rapidement, comme on le voit dans un dernier plan "positif" qui l'exporte à l'étranger, en train de larguer fraternellement les amarres avec un autre marin "basané" pas franchement caucasien ?).

Mon hypothèse est que Cantet est parti sur l'idée d'un film politique évidemment de gauche (avec en but l'éternelle rééducation des mal-pensants selon les normes actuelles), mais qu'il a légèrement bifurqué en cours de route.
D'abord, à cause de Lucci, qui est tout simplement admirable, impressionnant de plasticité ; il fait tenir plein d'éléments disjoints, tient la dragée haute à Foïs, est bon en groupe, en face à face, et parvient à moduler son jeu et à s'extraire de la gangue informe des stagiaires, tous lambda et inintéressants (personnages autant qu'acteurs). Sa seule présence fait que le film vaut quelque chose.
Ensuite, à cause de la médiocrité ambiante à laquelle il est promis s'il se tient à ce programme : fasciste tangeant devenant un gentil démocrate.
D'où le versant nocturne - assez beau quoique de guinguois avec le reste du film - que Baldanders fait bien de raccrocher à Guiraudie, mais que je vois également comme un repentir chabrolien (le voyeurisme nocturne du Cri du hibou, pour ne rien dire du trajet avec révolver comme le final du Boucher inversé). Cela me semble courageux, d'autant que le naturalisme plan-plan de Cantet est à l'opposé absolu du mystère ontologique tel que Chabrol a pu l'exprimer dans ses grands films. En tout cas, on peut y voir une explication du caractère abstrait de la fascination réciproque qu'éprouvent Foïs et Lucci. A bien y réfléchir, le film est particulièrement théorique, l'ancrage social est un leurre puisqu'on ne sait rien des conditions de vie et de l'extraction du héros. pour ne rien dire des autres jeunes (Bégaudeau a 100% raison là-dessus).

Un dernier mot sur l'imaginaire des personnages qui est de plus en plus figurée par les appareils numériques de ceux-ci. C'est très beau chez Haneke, je trouve, où l'écart entre les obscénités qu'écrit Kassovitz dans Happy End et ce qu'on voit de lui crée un trouble énorme (pour moi, en tout cas), mais cela a tendance à devenir une facilité (ici Foïs découvrant direct sur Facebook une vidéo répréhensible des amis fachoïdes de Lucci).
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Baldanders
dans le coma profond


Inscrit le: 23 Déc 2010
Messages: 967

MessagePosté le: Ven Oct 13, 2017 15:22    Sujet du message: Répondre en citant

Salut valzeur !

valzeur a écrit:
plutôt d'accord avec Baldanders, à une réserve près, je ne pense pas que le personnage de Matthieu Lucci soit "fasciste", stricto sensu. Il est mimétique - comme d'ailleurs les autres jeunes qui répètent les âneries du camp adverse


Ah mais je n'ai pas dit du tout qu'Antoine était un "fasciste" ! Au pire il est "fascisant" si on veut trouver un terme correspondant à son intérêt poussé pour l'imagerie militaire et les discours identitaires. Mais il est clair que le film, en lui faisant répéter plusieurs fois qu'il se fout de la politique, ne veut surtout pas le faire passer pour un fasciste au sens militant du terme. Comme tu dis, il est dans l'imitation, à ceci près qu'un jeune dans l'imitation est tout de même moins confiant en lui-même. C'est la faiblesse principale, selon moi, du personnage : ce mélange de vide et de plein. Non-choix scénaristique pour gagner sur les deux tableaux : un dépressif n'aurait pas été intéressant à filmer, tandis qu'un vrai "fasciste" aurait forcé Campillo et Cantet à affronter la question de "l'Autre" comme dit Bégaudeau.

Par contre, en désaccord avec toi sur les autres jeunes : ils n'appartiennent pas à "un camp" car ils n'ont pas de position politique définie, la seule chose qui les réunit "politiquement" est un refus de principe de la "stigmatisation". Or, il est indéniable qu'en balançant que les djihadistes sont les "cousins" des jeunes d'origine arabe assis à la table, Antoine les insulte. Mais le film évite de creuser cette piste anti-arabe.

valzeur a écrit:
A bien y réfléchir, le film est particulièrement théorique


Tout à fait.

Sinon, on parlait l'autre jour des films "de gauche" et "de droite" et je viens de voir Le sens de la fête qui est pour moi très clairement un film de droite à la gloire du (petit) patron accablé de problèmes venus à la fois d'en bas (ses salariés tous plus ou moins foireux) et d'en haut (l'État, ses agents, ses impôts). Kitty, j'ai vu que tu as plutôt aimé le film. Cette dimension idéologique ne t'a pas gêné ?
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Hello--Kitty
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Inscrit le: 03 Nov 2010
Messages: 2053

MessagePosté le: Ven Oct 13, 2017 22:13    Sujet du message: Répondre en citant

Baldanders a écrit:
Kitty, j'ai vu que tu as plutôt aimé le film. Cette dimension idéologique ne t'a pas gêné ?

Tout ce que vous dites m'intéresse beaucoup, sachez d'abord que je vous lis avec attention même si je n'interviens pas. La question de L'Atelier est très compliquée pour moi et ce que vous écrivez me passionne (c'est valable également pour François Bégaudeau).

Et pour répondre à ta question sur Le Sens de la fête… j'ai détesté la première scène. Ce pauvre couple amoureux qui essaie comme tout le monde de faire baisser la facture et qui se fait humilier par Bacri, j'ai trouvé ça proprement dégueulasse. La suite du film est différente, équilibrée d'une autre manière, plus contradictoire, plus française finalement… Je pense évidemment comme toi que c'est un film de la catégorie que j'appelle "ma petite entreprise", dans laquelle on peut mettre également des films "de gauche" comme par exemple Good Luck Algeria (un quadragénaire méritant d'origine algérienne use sa vie et sacrifie son couple dans une fabrique de skis menacée par le monopole) ou Petit Paysan (un trentenaire méritant use sa vie et sacrifie sa vie sentimentale pour une ferme laitière menacée par une épidémie). Je n'ai pas de passion particulière pour ce genre de films, tu t'en doutes - et j'ai d'ailleurs dû me pencher moi-même sur la façon dont on peut exprimer les difficultés d'entreprise dans une narration et la façon dont ça peut rejaillir sur les personnages sans en faire un élément visant à attirer la sympathie du spectateur, sans en faire un élément d'idéologie. Est-ce que j'aime le laïus de Bacri devant ses employés quand le courant est coupé et qu'il fait la leçon à tout le monde en disant notamment "Ah bah oui, évidemment, les patrons, c'est des cons !" Non. Il peut m'arriver de me dire devant Le Sens de la fête que "C'est un film RMC" et que, si on prend la peine de dire que les charges patronales sont équivalentes à 100% du salaire, on ne fait pas l'effort d'indiquer à quel tarif horaire bossent les serveurs ou les musiciens. Mais, étrangement, il m'a semblé que le personnage de Bacri n'était pas si important que ça même s'il occupe une position centrale (d'ailleurs Bacri que je tiens pour un génie comique n'est pas très très bon), moins important que le personnage de Rouve ou d'Alban Ivanov (le mec avec les rouflaquettes). Et puis… je ne sais pas, il me semble que sous des aspects de film "ma petite entreprise", Le Sens de la fête est quand même un film qui est du côté des Pieds Nickelés, des gens dont personne ne veut (Rouve), des ringards (Gilles Lelouche qui m'a fait marrer pour la première fois de ma vie), des caractériels (Eye Haïdara) ou des poltrons (Antoine Chappey). Est-ce que c'est par cynisme ? J'espère que non !

Quand j'ai vu le film, le "On s'adapte !" que ne cesse de répéter Bacri résonnait pour moi étrangement avec le "On s'débrouille !" balancée par Angot à la face éplorée de Sandrine Rousseau (je n'ai pas la télé mais j'en ai entendu parler comme tout le monde, et cette phrase m'a frappé et même déstabilisé). Vraiment j'aurais du mal à réduire Le Sens de la fête à un film contaminé par l'idéologie de droite, même si je vois bien qu'il est tout à fait dans l'air du temps qui fait du petit entrepreneur valeureux et combinard le metteur-en-scène de nos vie. Mais ce qu'il y a de plus précieux dans le film (les pas de danse un peu gauche de Kevin Azaïs quand il doit se mêler aux invités par exemple, ou le moment où Lelouche et Haïdara lâchent la corde à laquelle est suspendu le marié) me semble dépasser ça. Il m'a semblé que ce que racontait en fin de compte Le Sens de la fête dans ses meilleurs scènes, c'est l'histoire de gens (des gens sympathiques, des gens un peu cons, des gens très cons) qui, dans un pays de droite, cèdent à la beauté. A la beauté en général mais aussi à la beauté de l'imprévu (un feu d'artifice qui part de travers ou un flirt dans les bosquets avec une femme de 75 ans). Mais peut-être que je suis sentimental et que tu as raison !


Dernière édition par Hello--Kitty le Sam Oct 14, 2017 8:00; édité 1 fois
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valzeur
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MessagePosté le: Sam Oct 14, 2017 0:00    Sujet du message: Répondre en citant

Hello les Hommes,

Vous allez presque me donner envie d'aller voir Le Sens de la fête ! (bon, je rechigne un peu quand même.)

Baldanders, sur la notion de camp, je voulais dire que le surgissement d'une parole non consensuelle évoluant vers le douteux les réunit contre Lucci extrêmement rapidement. Il est d'ailleurs frappant que la scène où se noue la séparation Antoine (le gamin crypto-fascisant)/les autres soit à la fois totalement ratée, mais intéressante en cela que c'est celle de la "libération de la parole" dixit Marina Foïs (l'expression affreuse sera également utilisée plus tard par le faux Soral dans une vidéo que regarde Antoine). L'assimilation musulman/terroriste est évidemment fallacieuse et provocante, mais ce qui lui est opposé - chacun y va de son couplet ("la parole se libère") - n'est pas non plus du meilleur goût (l'un des personnages minore l'impact des attentats en déclarant qu'ils tuent moins que les accidents de la route). A cet instant, je me suis dit a) que le courage politique de Cantet tendait vers le néant, b) que les opinions politiques étaient autant mimétiques chez les autres jeunes que chez Antoine. Ce sont des masques que l'on porte et enlève à volonté ; d'où les différents visages que présente le personnage de Matthieu Lucci, le seul à intéresser vraiment Cantet (on peut supposer que s'il avait choisi de suivre l'un des autres garçons, celui-ci aurait également a) écouté du rap, b) joué aux jeux vidéos, c) fait des selfies, d) sculpté son corps...). Sur la fascination morbide du personnage, je n'y vois personnellement qu'un jeu à deux doigts du brutal (je savais un jour que je citerai presque du Brisseau). Le texte à problèmes taxé de complaisance me semble d'une innocuité marquée, j'y vois le désir de titiller les autres stagiaires (et la romancière) qu'il méprise peut-être parce qu'il est raciste, mais surtout parce qu'il est bien plus intelligent qu'eux ; il leur explique le principe de caméra subjective, ce qui est probablement l'une des clefs du personnage et de son texte, il sait faire le distingo entre celui qui est derrière la caméra/le joystick et celui qui est représenté sur l'écran/la console (et partant entre celui qui écrit et ce qu'il écrit). Là encore, c'est pour moi un jeu ; d'ailleurs, la proximité du personnage avec les enfants est soulignée à plusieurs reprises (notamment par un plan de sommeil). Pour moi, fondamentalement, à partir du moment où les autres stagiaires le voient comme un raciste infréquentable, il en prend l'habit ; c'est un personnage créé par son entourage et la création est presque parfaite ; c'est pourquoi il ne peut conclure son enlèvement qui reste un geste inachevé, entre le romantique et le destructeur (il faudrait d'ailleurs comparer certains très beaux plans nocturnes avec O Fantasma de Joao Pedro Rodrigues qui figure également un enlèvement pour cause de fascination - et là encore, le personnage ne sait que faire de sa victime). Plus je pense à ce film, plus je le trouve passionnant et en même temps raté ; c'est assez rare.

Changeons un poil de sujet : j'ai vu Detroit (soupirs) et c'est épouvantable ! Vous avez testé ? Baldanders, si tu y vas, apporte un doudou !, j'ai peur que ce film dépasse ce que tu peux supporter niveau stress et violence - même si c'est de mon point de vue assez inopérant quoique fort pénible à se fader (les acteurs doivent jouer l'équivalent de 40 minutes de petits cris terrifiés et de larmes).


Dernière édition par valzeur le Jeu Oct 19, 2017 12:11; édité 1 fois
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Baldanders
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MessagePosté le: Sam Oct 14, 2017 13:38    Sujet du message: Répondre en citant

valzeur a écrit:
Pour moi, fondamentalement, à partir du moment où les autres stagiaires le voient comme un raciste infréquentable, il en prend l'habit ; c'est un personnage créé par son entourage et la création est presque parfaite ; c'est pourquoi il ne peut conclure son enlèvement qui reste un geste inachevé, entre le romantique et le destructeur


Plus que la création de son entourage (les autres jeunes ne font que réagir à ses provocations avec les arguments plus ou moins bidons qu'ils ont à disposition, car c'est bien lui qui lance les hostilités et non eux), j'y vois la création de Cantet et Campillo, leur fantasme d'excitant jeune-fasciste-pas-fasciste à la fois intelligent et sensuel, et surtout ancré dans la vie, soit tout le contraire de l'évaporée bourgeoisie parisienne noyée dans les clichés de sa bonne conscience. C'est ce que l'inachèvement de son geste, à la fin, me semble découvrir surtout : qu'il n'existait pas, sauf dans la tête des scénaristes.

valzeur a écrit:
Changeons un poil de sujet : j'ai vu Detroit (soupirs) et c'est épouvantable ! Vous avez testé ? Baldanders, si tu y vas, apporte un doudou !


Testé sans doudou et j'ai tenu 20 minutes. Trouvé ça brutal, confus, débile, horriblement filmé à coups répétés de recadrages zoomés et coupes toutes les 3 secondes. Aucune envie de subir ça pendant 2h. J'ai changé de salle et me suis retrouvé devant Le sens de la fête qui en comparaison m'a semblé quasi tarkovskien.

Hello--Kitty a écrit:
il m'a semblé que le personnage de Bacri n'était pas si important que ça même s'il occupe une position centrale (d'ailleurs Bacri que je tiens pour un génie comique n'est pas très très bon), moins important que le personnage de Rouve ou d'Alban Ivanov


C'est un personnage-relais, le regard par lequel on voit tout le reste, donc pas très mystérieux mais très familier, bien plus familier que tous les autres qui sont les animaux étranges et ridicules du grand zoo humain.

Mais justement, pourquoi nous rendre Bacri en particulier familier ? Quand je disais que c'est pour moi un film de droite, je ne veux surtout pas dire qu'il l'est volontairement et consciemment. Je crois qu'inventer une figure centrale qui leur ressemble est le geste inconsciemment prosaïque de deux patrons millionnaires (Toledano/Nakache) qui gèrent une entreprise de cinéma.

Hello--Kitty a écrit:
je vois bien qu'il est tout à fait dans l'air du temps qui fait du petit entrepreneur valeureux et combinard le metteur-en-scène de nos vie.


C'est bien ce qui en fait un film de droite selon moi, cette idée sous-jacente que, sans Bacri, il n'y aurait rien : ni cette fête, ni cette folie, ni ce comique, donc pas de film, pas d'aventure, pas de rêve, etc. Tout dépend de l'activité d'un seul grand metteur en scène. Les autres sont des « pieds-nickelés », comme tu dis, qui ne sauraient rien faire ou inventer sans lui, ou en-dehors de lui : ils sont dépendants, de leurs émotions d'une part (tous des femmelettes ou... des femmes), et financièrement de Bacri d'autre part. Ils occupent le rôle qu’il leur a assigné et font rire parce qu'ils en sortent momentanément pour y revenir en choeur dans le final grandiose qui justifie toute l'entreprise. Bacri juge chacun avec sévérité et tendresse discrète : un paternalisme patronal idéal.

Il ne faudrait pas trop prendre ce paternalisme patronal pour un inoffensif « point de vue sur le monde ». Pour preuve ce plan où Lelouche et Haïdara s’enlacent sous l’œil de Bacri. Là, Lelouche fait un clin d’œil complice à Bacri, avec sous-entendu « je vais me la faire » (sous-entendu renforcé trois plans plus tard par le regard subreptice de Lelouche sur le cul de Haïdara). C’est Lelouche qui va baiser Haïdara que Bacri accompagne du regard et nous avec lui. C’est aux baiseurs (qui ne sont pas des pédés, cf. la scène avec le racheteur) qu’on s’identifie, surtout pas aux autres. Qu’est-ce qui empêchait Toledano et Nakache de placer plutôt le profil de Haïdara du côté de Bacri pour en faire sa complice ? Le machisme sordide sur quoi repose ce paternalisme pour lequel tout forcément tourne autour du Phallus, du chef, du patron.

« Le bonheur de l'homme, dit Zarathoustra, a nom : je veux. Le bonheur de la femme a nom : il veut. » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
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valzeur
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MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 0:13    Sujet du message: Répondre en citant

Hello les Hommes,

Bon, plein de choses (ou plutôt 2).

Baldanders, je suis d'accord avec toi sur le fait que plusieurs coups de forces scénaristiques minorent la force du personnage à la fin de l'Atelier (si ce n'est que l'acteur est suffisamment bon pour s'en sortir) : a) le "kidnapping", b) le dernier texte, c) le bateau. Mais je crois fondamentalement à cet Antoine et à son ambiguïté. Y croire m'a permis de repenser à un film qui est tout l'inverse, Une vie violente. Sur le papier, le film de Peretti est mille fois plus intéressant que le Cantet :
- il s'inspire d'une histoire vraie
- il est très documenté
- son ambition le porte à essayer plusieurs genres et à tenter une narration elliptique et éclatée
Si ça n'est qu'à la vision des deux, je ne peux que donner l'avantage à Cantet. Le jeune nationaliste corse radicalisé de Peretti est complètement soumis à la causalité d'une écriture cadenassée que l'inexpérience de son acteur conduit à peu près nulle part. Il faut déduire de son silence synonyme d'honneur corse qu'il se retrouve en prison. OK. Mais, de là, une scène bavarde et quelconque avec deux figures paternelles dans une bibliothèque de prison doit nous convaincre qu'il est gagné par la cause du nationalisme option marxisme. Ah bon. Et plus tard, le même sera mêlé de très près à crimes et exécutions sans qu'on ait senti en rien l'évolution du personnage ni celle de l'acteur égal tout du long dans sa médiocrité (mais j'ai beaucoup aimé son pull côtelé blanc marqueur de bourgeoisie, et il est au moins joli à regarder). On dirait à y repenser rétrospectivement que De Peretti se défend par avance des défauts de son film en jouant sur plusieurs fronts ; en gros, si le portrait du jeune nationaliste n'est pas si bon que ça, c'est que le film est aussi pour une part une fresque politique plus ample. Seulement, le problème est que cette fresque a elle-même bien des défauts (sa relative illisibilité, sa structure en flash-back bateau, une étrange impression de surplace dramatique,...) et qu'on peut aussi en voulant défendre le film les attribuer à la présence du portrait, comme si la courte focale gênait la longue et vice-versa. Pour ne rien dire de l'absence absolue d'ambiguïté (le brouillard narratif n'est pas de l'ambiguïté). Chez Cantet, la lisibilité de la fiction de gauche est perturbée par la création d'un personnage qui la dépasse partiellement grâce à son interprète principal ; (presque) tout ce qui le touche devient réussi ou passionnant, le reste ne méritant pas qu'on s'y attarde...

Enfin, changeons de sujet : grâce à vous, j'ai vu Le Sens de la fête, et j'ai passé un vrai bon moment sans prétention. Si toutes les comédies populaires françaises sont de cette eau, je suis plutôt preneur. Vous avez raison, le film est effectivement de droite, et tous les personnages sont des enfants à l'exception de Bacri, de son ami chef d'entreprise (celui qui le dépanne) et du racheteur. Vous ayant lu avant d'y aller, je m'attendais à un moment de vulgarité sans nom avec la scène décrite par Baldanders, je suis tombé par terre quand je l'ai vue (une hypothèse : Baldanders, as-tu lu tout Virginie Despentes avant la projection ???). Le regard de Lellouche à Bacri ne signifie pas du tout pour moi la connivence machiste "Regarde, comme elle est bonne !", mais plutôt le soulagement et la fierté d'avoir adouci une femme "puissante" façon mégère apprivoisée. La suite me donne raison, je trouve, puisqu'il n'est pas question du tout de coup d'un soir - ce à quoi on aurait pu s'attendre avec la beaufitude sympa du personnage de Lellouche - mais tout simplement d'Amour, le Grand, le Pur, le Vrai (les cordes lâchées signe de Reconnaissance de cet amour après la première épreuve du toucher). il me semble difficile de trouver un film moins sexué dans le cinéma français d'aujourd'hui que ce Sens de la Fête (peut-être un dessin animé pour enfants, mais pas sûr). Les personnages semblent ne pas avoir de sexualité formée (Macaigne, Chemla, Rouve, Vincent) ; l'escapade de ces deux derniers dans les fourrés a plus à voir avec un flirt bisous dans le cou au parfum Pomme d'amour. Le marié, enfant unique insupportable (et sans père à l'image de la mariée) se voit comme un petit ange (à ce propos, l'acteur, Benjamin Lavergne, est excellent). Et puis, il y a Bacri... Une grande partie des défauts du film lui revient, comme d'ailleurs ses qualités ou du moins sa relative étrangeté. Bacri a 66 ans, il en fait 75 et joue un personnage à la petite cinquantaine... Impossible de croire une seconde à sa liaison avec Suzanne Clément, qui hésite entre Kévin Azaïs et lui. Tout ceci est un voeu pieux... La scène avec l'acheteur est peut-être la meilleure en tout cas la plus intrigante du film ; la dominante nocturne, l'ambiance Revizor ("Et si j'étais l'inspecteur de l'URSSAF ?"), la laideur marquée des deux acteurs en font le seul vrai moment de gêne inquiétante, comme si le monde se fissurait (il existe des vieillards qui couchent avec d'autres vieillards, toute entreprise court à sa perte). Cette scène m'a rappelé de façon invraisemblable le final nocturne et cauchemardesque du Prince de Hombourg de Bellochio (je sais, c'est dingue) où rêve et réalité deviennent indiscernables plongeant le personnage dans un suspens terrible et inoubliable. Bon, on n'en est pas là, mais ce rappel d'une catastrophe possible est plusieurs fois conjuré par le film (le running gag des fausses mauvaises nouvelles). Par ailleurs, la vieillesse et le caractère maladif de Bacri infléchit pour moi l'option paternaliste quand même opérante ; si tout le monde se soumet à sa loi, c'est qu'il est malade (mourant ?) et qu'on ne veut pas l'éprouver ; cela apparaît en douce dans la scène curieuse où Macaigne qualifie le couple que Bacri forme avec sa soeur de "mortifère", je vois pour ma part à la place du tout (le couple) la partie (Bacri).
Pour revenir au sexisme, je ne pense pas que le film soit au fond machiste ou homophobe, mas une chose est sûre : Toledano et Nakache ne savent pas écrire de personnages féminins (celui d'Haizara est en fait un homme). En attendant, Le Sens de la fête est pour moi presque une bonne surprise.

Pour bondir à rebours sur l'Atelier, HK est bien pudique dessus, hummm ?
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Baldanders
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MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 10:08    Sujet du message: Répondre en citant

Salut valzeur,

valzeur a écrit:
le même sera mêlé de très près à crimes et exécutions sans qu'on ait senti en rien l'évolution du personnage ni celle de l'acteur égal tout du long dans sa médiocrité (mais j'ai beaucoup aimé son pull côtelé blanc marqueur de bourgeoisie, et il est au moins joli à regarder). On dirait à y repenser rétrospectivement que De Peretti se défend par avance des défauts de son film en jouant sur plusieurs fronts ; en gros, si le portrait du jeune nationaliste n'est pas si bon que ça, c'est que le film est aussi pour une part une fresque politique plus ample. Seulement, le problème est que cette fresque a elle-même bien des défauts (sa relative illisibilité, sa structure en flash-back bateau, une étrange impression de surplace dramatique...)


Je trouve l'évolution du personnage très fine et précise, et la narration complètement limpide. Quant au sentiment de surplace, il est dû, je crois, à l'absence délibérée d'accentuation par la caméra. Les moments où s'esquissent des scènes à la Scorsese (je pense à celle où un ami du héros vient réclamer de l'argent dans une sorte de kebab à un jeune qui le prend de haut) sont filmés - comme le reste - sous un seul axe, avec de légers recadrages panoramiques, ce qui tend à planifier dans son ensemble le film mais aussi à faire exister très concrètement chaque scène en pariant sur la mise en place (théâtrale). C'est ce que j'aime dans Une vie violente : qu'il prenne le contrepied systématique de tout ce cinéma naturaliste à la Cantet structuré sur le regard désirant accompagné invariablement de son contrechamp tremblé, moyen commode d'éviter toute architecture spatiale et temporelle (les scènes de groupe dans L'Atelier : alignement de gros plans-vignettes...)

valzeur a écrit:
Vous ayant lu avant d'y aller, je m'attendais à un moment de vulgarité sans nom avec la scène décrite par Baldanders, je suis tombé par terre quand je l'ai vue (une hypothèse : Baldanders, as-tu lu tout Virginie Despentes avant la projection ???). Le regard de Lellouche à Bacri ne signifie pas du tout pour moi la connivence machiste "Regarde, comme elle est bonne !", mais plutôt le soulagement et la fierté d'avoir adouci une femme "puissante" façon mégère apprivoisée. La suite me donne raison, je trouve, puisqu'il n'est pas question du tout de coup d'un soir - ce à quoi on aurait pu s'attendre avec la beaufitude sympa du personnage de Lellouche - mais tout simplement d'Amour, le Grand, le Pur, le Vrai (les cordes lâchées signe de Reconnaissance de cet amour après la première épreuve du toucher).


Very Happy

Je continue à penser que ce n'est pas un hasard si ce n'est pas la fille qui jette un regard de connivence à Bacri, alors que ce serait logique car c'est son employée la plus proche. Et remarque que Lellouche (avec deux L, c'est vrai) la domine depuis le début : il avait raison au sujet des plats, par exemple. Elle ouvre grand sa gueule, mais elle se soumet toujours. Et tu n'as pas vu le petit regard de Lellouche vers ses fesses ? Qui pour le coup ne fait pas très "Amour Pur et Vrai"... Je n'ai pas été choqué ou quoi, je me suis juste fait la remarque que les seuls êtres sexués dans ce monde asexué (déjà Intouchables prenait bien garde de castrer le grand prolo noir) sont le patron (qui est le Phallus en soi : même malade, même vieilli, il domine et organise) et son alter-ego (qui passe à l'acte à sa place). Les femmes ne peuvent pas désirer : elles sont condamnées à être chiantes et se soumettre.

valzeur a écrit:
(à ce propos, l'acteur, Benjamin Lavergne, est excellent)


Bon, je n'ai pas dit le bien que je pensais des acteurs, mais comme je savais que vous le feriez pour moi...
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JM
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MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 15:23    Sujet du message: Répondre en citant

Baldanders, je trouve mystérieux, voire douteux, que de manière très acharnée tu critiques régulièrement (ou quasi-systématiquement) les films qui ne te semblent pas assez à gauche, pas assez féministes, pas assez progressistes, tout ça, et que tu te retrouves aussi souvent d'accord et complaisant avec un valzeur qui affirme tranquille pépère avoir apprécié un bon petit film de droite pour ce qu'il est. Faut croire que c'est plus facile et courageux de prendre à parti des cinéastes ou des films à distance q'un type que tu connais de près... tes analyses en deviennent, selon moi, de singuliers simulacres de critiques.
_________________
Opposant à ma propre candidature
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Baldanders
dans le coma profond


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MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 15:26    Sujet du message: Répondre en citant

JM a écrit:
Baldanders, je trouve mystérieux, voire douteux, que de manière très acharnée tu critiques régulièrement (ou quasi-systématiquement) les films qui ne te semblent pas assez à gauche, pas assez féministes, pas assez progressistes, tout ça, et que tu te retrouves aussi souvent d'accord et complaisant avec un valzeur qui affirme tranquille pépère avoir apprécié un bon petit film de droite pour ce qu'il est. Faut croire que c'est plus facile et courageux de prendre à parti des cinéastes ou des films à distance q'un type que tu connais de près... tes analyses en deviennent, selon moi, de singuliers simulacres de critiques.


Laughing

Vive le mystère, voire le doute, JM !
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Trollope
dans le coma profond


Inscrit le: 04 Oct 2011
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MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 17:03    Sujet du message: Répondre en citant

La bande-annonce laisse penser à un gros film de beaufs dans une tradition française bien ancrée. Ce qui m'avait gêné en plus, c'est l'affiche avec le nom de six stars masculines (de mémoire) et pas un seul nom de femmes, qui n'évoque rien au spectateur lambda (catégorie dont je fais partie).
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Trollope
dans le coma profond


Inscrit le: 04 Oct 2011
Messages: 637

MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 17:04    Sujet du message: Répondre en citant

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Baldanders
dans le coma profond


Inscrit le: 23 Déc 2010
Messages: 967

MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 17:10    Sujet du message: Répondre en citant

Trollope a écrit:
Ce qui m'avait gêné en plus, c'est l'affiche avec le nom de six stars masculines (de mémoire) et pas un seul nom de femmes, qui n'évoque rien au spectateur lambda (catégorie dont je fais partie).


Bien vu !

(je me suis permis de remplacer ton doublon par l'affiche en question)
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Trollope
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Inscrit le: 04 Oct 2011
Messages: 637

MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 17:40    Sujet du message: Répondre en citant

Oui désolé, on me disait qu'il y avait un bug mais les messages s'envoyaient bien.
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valzeur
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Inscrit le: 30 Aoû 2015
Messages: 235

MessagePosté le: Lun Oct 16, 2017 17:41    Sujet du message: Répondre en citant

JM a écrit:
Baldanders, je trouve mystérieux, voire douteux, que de manière très acharnée tu critiques régulièrement (ou quasi-systématiquement) les films qui ne te semblent pas assez à gauche, pas assez féministes, pas assez progressistes, tout ça, et que tu te retrouves aussi souvent d'accord et complaisant avec un valzeur qui affirme tranquille pépère avoir apprécié un bon petit film de droite pour ce qu'il est. Faut croire que c'est plus facile et courageux de prendre à parti des cinéastes ou des films à distance q'un type que tu connais de près... tes analyses en deviennent, selon moi, de singuliers simulacres de critiques.


Quelle étrange réflexion, pour ne pas dire plus ! Il faut donc considérer qu'un film est de droite ou de gauche avant de l'apprécier ? Pareil pour la littérature ? A ce titre, Edouard Louis est le plus grand écrivain vivant, non ? (permettez-moi un LOL).

En fait, je parie que Baldanders a apprécié le film - qui est efficace, inoffensif et assez bien tenu - mais il n'ose peut-être pas le dire à cause de zozos comme toi, JM.
Ou alors, et j'invente un concept après la street-credibility, c'est de la straubian-credibility Smile)))
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