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Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête (Ilan Klipper, 2017)

 
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Baldanders
dans le coma profond


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MessagePosté le: Jeu Mai 24, 2018 22:12    Sujet du message: Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête (Ilan Klipper, 2017) Répondre en citant



Cette lumière passée au tamis, cotonneuse et mate, a le mérite d'éviter la dure et brillante grisaille des habituels films d'auteur en HD, mais aussi le défaut de rendre le film trop vite "subjectif" et "onirique".

C'est qu'on est projeté dans la cage de Bruno (Laurent Poitrenaux), cinquantenaire en dépression qui rame à écrire un second livre aussi réussi que le premier (il a obtenu un succès 20 ans auparavant). Bruno navigue en slip de sa chambre à la cuisine et vice-versa, avec parfois une virée chez sa maîtresse (une voisine black). Dans sa solitude, il parle tout haut, ricane, envoie des messages de cul, danse comme un dingue, improvise des dialogues avec un perroquet... Bref, il va mal et tourne dangereusement en rond. Bientôt, ses parents et amis proches débarquent pour lui imposer un traitement psychiatrique d'urgence.

Voilà pour le résumé, qui ne résume pas le film. Ce que ne peuvent pas dire ces quelques mots, c'est l'état d'ébullition dans lequel se trouve Bruno, corps et visage ingrats montrés dans toute leur ingratitude, mais que Klipper sait transformer en quelques plans, voire quelques gestes, pour leur donner une dignité et même une certaine classe.

C'est tout l'intérêt de ce film assez pauvre, tourné presque uniquement en intérieurs : son art du mouvement erratique. Le Ciel étoilé n'illustre pas une simple histoire, ne se morfond pas : tout le monde y est nerveux et volubile, en pure perte. Cette nervosité générale, au diapason de l'hystérie de Bruno, il faut savoir la tenir, éviter qu'elle retombe dans ce qui menace toujours le film français en huis-clos : la dépression, le lourd silence qui en dit long, etc. Or, Klipper a l'intelligence dramaturgique de faire sans arrêt rebondir son récit pour pallier à l'étroitesse de la situation. Son scénario est très bien ficelé (en trois actes : exploration à tâtons de l'univers en vase clos de Bruno, suspense autour de la visite de ses proches dont on ne devine pas la raison, conclusion burlesque à la The Party) et ses acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes dans des scènes ardues de monologues, en particulier Poitrenaux qui oscille remarquablement entre abattement et obscénité, sans jamais tomber vraiment dans l'un ou l'autre.

Un curieux fatalisme, à la fin du deuxième acte, paralyse l'action. Néanmoins j'ai trouvé ça cohérent : Bruno sait que ses proches ont raison de s'inquiéter et n'a pas la force de les jeter dehors. L'idée de faire débarquer ensuite un tas de gens venus "sauver Bruno" est excellente, mais j'aurais préféré que Klipper ne cherche pas à conclure son histoire. Les derniers plans, trop symboliques, vont à l'encontre de l'énergie de tout le début.

Je retiens surtout ces longs passages théâtraux (mais pas trop) où Bruno seul dans la maison cherche le mot juste, bute, grommelle, soupire, ricane, cite, crie des insultes... Klipper est allé chercher un dépressif pour souligner en lui ce qui, encore vivant, lutte pour prendre forme.


Dernière édition par Baldanders le Mer Aoû 15, 2018 14:05; édité 1 fois
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Baldanders
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MessagePosté le: Mar Juin 05, 2018 19:54    Sujet du message: Répondre en citant

J'aime beaucoup ce que Buster de Balloonatic a écrit sur le film :

Citation:
Je ne vais pas vous raconter le film, tout le monde l’a fait... juste rappeler que le Ciel étoilé au-dessus de ma tête est un film extraordinaire. D’abord parce que c’est un film de chambre en mode comédie, ce qui est rare, surtout parce que c’est un vrai film de la marge, autrement dit loin du "centre" que représentent la plupart des comédies françaises aujourd’hui, par sa façon, faussement chaotique, de se déployer, qui ne ressemble à rien de connu, de déjà vu... un film à la singularité extrême, donc, original sans chercher à l’être, à l’image de son personnage principal, Bruno, écrivain "exalté" (dixit l’auteur, Ilan Klipper), qui vit cloîtré (avec comme seule compagnie une perruche - outre sa jeune et jolie coloc, Justyna, et les femmes qui passent dans son lit, sans rester), absorbé par l’écriture mais dont il ne sort rien de solide, tout ça depuis qu’il a connu, c'était il y a 10 ans, son premier et unique succès littéraire, le film ménageant d’emblée une sorte de flou quant à la réalité psychique du personnage (est-il fou, en plein trip créatif, ou les deux?).
Pour autant, quand bien même cette exploitation du thème, bien connu lui, de la frontière, ténue, qui existe entre art et folie, est l’occasion de scènes délicieusement burlesques, loufoques autant que poétiques (les acteurs sont au diapason, Laurent Poitrenaux en tête), autre chose se devine, émergeant progressivement, conférant au film toute sa profondeur. Pour le dire autrement: le film n’est pas que drôle, il est aussi bouleversant. Et cela tient à l’autre thème, qui court en arrière-plan, celui de l’émancipation (donc de la liberté), thème redoublé par la figure de la colocataire - Justyna est une Femen en rupture de ban elle aussi -, et renforcé par celle de la famille juive, parce que c'est toujours étouffant une famille juive, même à 50 ans.
Qu’en est-il de cette émancipation? Au risque de délirer, mais le film s’y prête, je dirais que Klipper fait le choix de la régression, ou pour parler deleuzien, celui du devenir-mineur (ce qui au passage fait écho au travail créateur, tel que le film nous le montre, quelque chose de régressif et sale, où l’on s’expulse de soi-même), soit un devenir-enfant ("Nous sommes comme des gamins", dit Bruno à Sophie à la fin du film, ce que suggérait la référence à Police, le film de Pialat, avec Depardieu et Marceau), Deleuze étant aussi convoqué à travers l’image de la tique (équivalent animal d’un mode de vie mineur, en l’occurrence plus que mineur, qui ne vit que de ses affects, jusqu’à l’épuisement), bref qui s’oppose au devenir-majeur de Kant, le majeur en tant qu’être capable de penser par lui-même, et donc ne dépendant pas d’une autorité extérieure, ce que le basculement dans la folie (créatrice ou non) remettrait en cause. On notera que si le titre du film privilégie la première moitié de la formule de Kant: "le ciel étoilé au-dessus de moi", au détriment de la seconde: "la loi morale en moi", c’est peut-être que le choix est aussi celui de l’infini (la voûte céleste, ici "l'instant magique" que constitue la rencontre amoureuse), ce qui vous arrache à votre environnement: social, familial..., sur la loi, dans ce qu'elle a de moral et de rationnel, la loi au fond de vous, censée vous élever au-dessus de votre condition animale. Il y a là finalement, dans cette "régression" du personnage, quelque chose de sublime.
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valzeur
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MessagePosté le: Mer Juin 06, 2018 0:01    Sujet du message: Répondre en citant

Mouaif ! Mais qu'est-ce que tout le monde trouve à ce film un peu plus médiocre qu'il n'est curieux ? En y repensant, me vient à l'esprit cet adjectif clichetonneux mis à la mode par les Inrocks il y a une quinzaine d'années : foutraque". Il va d'autant mieux au film de Klipper que "foutraque" a pris une connotation particulière dans le sens de "calculé". Le "foutraque" n'est pas sui generis, il se voudrait tel mais il est agencé dans le but, justement, de paraître foutraque. Voilà une bonne définition du CEADDMT qui joue la séduction par la maladresse, au risque de perdre le vrai charme du raté et de l'inepte. Poitrenaux est bien fascinant - c'est la carte maîtresse du film - mais il n'est jamais émouvant, et le film partant ne peut atteindre le registre du bouleversant, contrairement à ce qu'écrit Buster, d'autant que sa clôture sur fuite+romance option n'importe quoi est d'une grande faiblesse. Bien sûr, Klipper doit penser à la fin de la Conjuration des Imbéciles, voire même à cet écrivain extraordinaire, Jean-Pierre Martinet, dont je vous recommande le chef-d'oeuvre, "Jérôme", mais cela ne suffit pas à élever son écrivain à la hauteur de ces perdants pour le coup magnifiques (merde, je viens de citer Leonard Cohen...)
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Baldanders
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MessagePosté le: Mer Juin 06, 2018 0:17    Sujet du message: Répondre en citant

D'accord avec toi sur deux points : en effet le film n'est pas "bouleversant" (ça c'est le côté critique tradi de Buster) et sa fin est très faible. Par contre, Buster a raison de parler d'arrachement. Tu écris : "Poitrenaux est fascinant", c'est vrai. Or je pense que le personnage (et donc son écriture) y est pour beaucoup, que sa lutte pour ne se reposer sur rien et ne s'attacher à rien donne au film sa tenue et son charme particulier. Il n'y a pas donc tant calcul que cohérence réelle, et profonde.
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Trollope
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MessagePosté le: Mer Juin 06, 2018 17:57    Sujet du message: Répondre en citant

Je n'avais pas aimé Jérôme, que j'ai lu il y a un peu moins d'une dizaine d'années, me méfiant de ces livres qui sont vendus comme des chefs d'oeuvre inconnus pour retomber dans l'anonymat qu'ils méritent peut-être. Complaisance dans le sordide, avec une langue pareillement complaisante. N'était pas Dostoïevski qui voulait à cette époque où un auteur pouvait quasiment tout se permettre.

Sinon, le film est peut-être intéressant (pas vu), mais il y en a marre du personnage de l'écrivain dans le cinéma intello français. En terme de pertinence sociologique, ça représente rien, à part un fantasme qui ne s'enracine dans aucune réalité. La figure de l'écrivain, tout comme l'écriture bénéficient toujours d'un certain prestige en France si on en croit l'expérience, ainsi que plusieurs études mais à quoi correspond l'écrivain dans la réalité ? celui qui prétend l'être est un petit branleur oisif, ou, quand il a réussi dans une certaine marge "intello" (je ne parle pas des écrivains successful de Laurent Gaudé à Musso en passant par Ruffin), souvent un cuistre de la pire espèce. Il y a aussi le type qui a un boulot et écrit à côté, le plus normal.
S'il y a d'ailleurs quelque chose de rassurant dans le fait que la figure de l'écrivain soit toujours révérée en France, cela ne correspond souvent à aucun standard qualitatif. De la même manière, la production de films d'art et essai en France reste un signe de vitalité de la culture mais pour quel résultat ? Beaucoup de bouses.
On me rétorquera que ça a toujours été le cas, liste des Goncourt à l'appui, mais c'est sans doute de pire en pire tout en ayant de bons côtés.
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valzeur
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MessagePosté le: Jeu Juin 07, 2018 18:24    Sujet du message: Répondre en citant

Jérôme est un livre monstrueux et désagréable qui me fascine personnellement par ses excès. Moi qui ai toujours trouvé Céline toc et insupportable, le produit de substitution Martinet me convient parfaitement, du moins avec Jérôme (aucun de ses autres livres ne m'a convaincu, ceci dit). En plus, le souffle de folie qui parcourt son oeuvre prend tout son sens quand on voit la vie terrible qu'il a eue...
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Baldanders
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MessagePosté le: Jeu Juin 07, 2018 21:16    Sujet du message: Répondre en citant

Trollope a écrit:
Sinon, le film est peut-être intéressant (pas vu), mais il y en a marre du personnage de l'écrivain dans le cinéma intello français. En terme de pertinence sociologique, ça représente rien, à part un fantasme qui ne s'enracine dans aucune réalité. La figure de l'écrivain, tout comme l'écriture bénéficient toujours d'un certain prestige en France si on en croit l'expérience, ainsi que plusieurs études mais à quoi correspond l'écrivain dans la réalité ? celui qui prétend l'être est un petit branleur oisif, ou, quand il a réussi dans une certaine marge "intello" (je ne parle pas des écrivains successful de Laurent Gaudé à Musso en passant par Ruffin), souvent un cuistre de la pire espèce. Il y a aussi le type qui a un boulot et écrit à côté, le plus normal.


C'est un usage métonymique : l'écrivain est aux prises avec les mots, comme l'auteur d'un scénario (qui est aussi très souvent le réalisateur). Si on réclame du réalisme (comme moi avec les prénoms des immigrés...) on peut trouver ça assez grotesque, je suis d'accord. Mais comme c'est une figure connue, presque imposée, il faut se dire qu'on est chez Guignol. Je ne suis pas sûr qu'un film sérieux sur le métier d'écrivain puisse être intéressant. L'écrivain (je parle du personnage) est névrosé, cloîtré, sexuellement et sentimentalement accablé. On en rit pour ça.
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valzeur
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MessagePosté le: Ven Juin 08, 2018 23:54    Sujet du message: Répondre en citant

Hello les Flans,

J'ai oublié de rebondir sur Baldanders (en tout bien tout honneur, hein ?) pour dire que je croyais en Poitrenaux l'acteur, mais pas du tout en Poitrenaux le personnage, finalement pas si bien écrit que ça (comme d'ailleurs tous les dialogues et toutes les situations impliquant deux personnages ou plus). Hormis sa première demi-heure, LCEADDMT se déculotte lentement pour ne laisser plus voir qu'une sorte de rédemption feel good mi-figue mi-raisin que Klipper emberlificote entre passé, présent, fantasme et réalité. Et pour cause, si le personnage convolait avec sa psychiatre, le film se réduirait à une romance minable micro-indé ; s'il était jeté en HP, le pseudo-charme funambule cultivé par Klipper se casserait la gueule dans la sinistrose. On a donc droit à un entre-deux à mon sens absolument pas intéressant, et qui rétrospectivement jetterait presque le discrédit sur le début pourtant réussi.

Sur la figure de l'artiste (élargissons en partant de l'écrivain), j'ai vu aujourd'hui un film magnifique qui m'a profondément touché, Trois visages, et que je reverrais pour une raison bien simple ; les deux premiers plans-séquences m'ont exaspéré, je me suis donc endormi, ai raté deux ou trois scènes capitales et ai repris le film sous de bien meilleures augures puisque tout le reste m'a convaincu, voire bouleversé (la lente tombée de la nuit, la scène splendide entre l'actrice et le vieillard encore vert). La figure de Panahi dans son propre rôle mais sans les mignardises pénibles de ses deux précédents films, devient étonnamment transitoire entre le modèle, le messager, le témoin, quelqu'un comme admire et qu'on tient à distance. Le film parvient à laisser sous-jacent une étrange dimension de menace qui se concrétisera dans une scène hors-champ à la toute fin avant la dernière scène (le détail qui l'exprime est tout simplement superbe). Bien meilleur que le cinéma programmatique et conceptuel de son maître Kiarostami, Trois visages m'a laissé une impression très forte dont j'attends de voir comment elle s'impose ou se dissipe... (Et il me faudra le revoir très vite, en entier cette fois-ci).
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