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Plaire, aimer et courir vite (Christophe Honoré, 2018)

 
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valzeur
dans le coma profond


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MessagePosté le: Lun Mai 14, 2018 11:41    Sujet du message: Plaire, aimer et courir vite (Christophe Honoré, 2018) Répondre en citant



"Plaire, aimer et courir vite" est un titre qui compose un étrange oxymore avec le film auquel il se rapporte tant le premier est très exactement l'inverse du second déplaisant, haïssable, et perclus de longueurs sans autre nécessité que l'imposition du registre "auteur français qui compte d'aujourd'hui". PAECV (réduisons) permet toutefois, et c'est son unique intérêt, de s'interroger sur les mutations anthropologiques survenues chez les spectateurs qui trouveront cette chose un "petit miracle" ou "une chronique solaire" (pour citer deux expressions piochées sur les notules critiques subventionnées d'Allociné).

Dès le générique, on sent le désir d'Honoré d'imposer une marque façon Gaspar Noë : lettres énormes, élision des prénoms, faux raccords pour signifier l'Hhhurgence, sans compter la musique-madeleine de l'époque ("One Love" de Massive Attack qu'on aura eu au moins beaucoup de plaisir à réécouter, comme d'ailleurs toute la BO). Le restant de la projection se passera pour nous à essayer de définir cette "marque Honoré" sans y parvenir. C'est quoi le cinéma de Christophe H. ? De la romance avec musiquette en agnès b. ? De la transgression dévotement allégée ? Ou, dans le désordre, de la dévotion light et transgressive ? De la Nouvelle Vague réduite en clapotis d'écume ? Du romanesque en toc maquillé de mots ? Un peu de tout ça, autrement dit : rien.

Frappent dès les premières scènes l'incohérence et la surécriture (le pêché mignon d'Honoré, disons sa marque, faute de mieux). Le jeunot rencontré au restaurant par Jacques (Pierre Deladonchamps) lui fait du charme sans trop savoir (on est en 1993, les plans - ou plus - se font à l'aveugle). La scène suivante (les deux cherchent une voiture sur le mode amour, regret et connivence) ressemble à un flash forward quand la troisième (débriefing de la rencontre avec le meilleur ami homo vieillissant joué par Denis Podalydès) reprend à la première. Quid alors ? Il faudra d'autres avancées dans ce récit des amours de Jacques pour comprendre ces régulières "trouées fantasmatiques" nous plongeant dans sa psyché torturée (il est homo, il a le SIDA et un fils avec sa meilleure amie). L'humeur du film est en tout cas trouvée ; ce sera de l'abrupt avec affectation, de l'incommunicabilité dégradée en juxtapositions de Narcisses ; personne dans ces trois premières scènes n'est vraiment en phase avec quiconque, et ce principe vaudra pour tout ce qui suit (l'un des premiers plans sur Vincent Lacoste le montre discutant avec son colocataire qui écoute de la musique au casque et ne prend la peine de l'enlever qu'après une bonne minute).

Le corollaire est qu'aucun des "rapports" humains montrés dans PAECV (je mets les guillemets à dessein) ne semble vraiment le fait d'êtres humains ; tout ce qui est montré semble faux, forcé, vain, d'un cynisme exagéré ou hors de propos, tout, en bref, pue la posture. Deux exemples choisis parmi les "morceaux de bravoure" du film : la découverte de la séroposititivité de Jacques par Arthur (Lacoste, donc) qui ne pouvant l'aborder - l'écrivain est avec une amie actrice - le suit dans une déambulation nocturne avec ombres portées (le SIDA ?) tandis que son amie exhibe à voix haute et projetée le mal dont il est atteint, se livrant à des considérations d'une goujaterie irresponsable qui appellerait dans la vraie vie une réponse telle que rupture définitive ou paire de claques illico. Rien de tel ici, aucun des protagonistes n'est affecté par quoi que ce soit ; Deladonchamps semble ravi qu'un Deus ex machina ait livré son secret médical à l'amant en devenir, l'amie n'a évidemment pas conscience d'être en dessous de tout (il est vrai que comme tous les autres elle n'est que pur égocentrisme) et Lacoste ne réagit absolument pas - ni compassion, ni angoisse, ni retrait (tout le film le verra traiter la maladie comme si elle n'existait pas ou que c'était, disons, un panaris). Le spectateur lambda a évidemment la réponse à cela : l'amour rend aveugle. Choisissons la version basse : ce n'est pas l'amour qui rend aveugle les personnages, mais le narcissisme de cet égo-trip mal tourné où Honoré se projette dans trois personnages différents à trois âges de leur vie.

Second exemple : le coup de téléphone de Jacques à Arthur qui le trouve post-coïtum avec un blondinet laissé en plan dans sa chambre (celui-ci s'ennuyant met un morceau de Prefab Sprout, bonne idée) ; l'appel très franc du collier (Lacoste révèle à Deladonchamps la baisouille) tourne à l'exercice de séduction intellectuelle culturo-gay où Jacques détaille plusieurs catégories d'amants tels que définis par de célèbres auteurs homo avec tous pleins de détails biographiques amusants et hyper-pointus (pendant ce temps, le petit blond se dandine sur Cars & Girls). La scène dure dix bonnes minutes avec fantasme de proximité (soudain les deux pas encore amants sont l'un contre l'autre, foin de la distance entre Rennes et Paris, l'Amour, c'est Magique) et Lacoste parvient à reformuler en termes simples les catégories décrites par son béguin. La longueur d'ondes est partagée, si ce n'est que la scène met de côté deux éléments tiers : le blondinet évacué comme un malpropre, et le spectateur normalement constitué qui a envie d'étrangler ces types insupportables s'écoutant délivrer leurs répliques imbitables avec une gourmandise qui fiche la nausée.

Chez Honoré, le ressort de la fiction est qu'on se ligue forcément à deux contre un troisième, sur des broutilles généralement. Avec des sujets aussi porteurs que la Maladie, la Bissexualité, la Naissance de l'Amour, Honoré s'arrange pour qu'au fond les personnages ne rencontrent aucun conflit majeur ni aucun Autre qui leur renverrait une image non valorisante de ce qu'ils sont. Tout le monde est forcément bienveillant autour de Jacques que l'on voit à plusieurs reprises carrément odieux (notamment avec l'employée noire du théâtre qui subit ses foudres sans d'ailleurs en être incommodée, elle aussi est Narcisse). La seule figure de l'Autre malmenée et émouvante - en creux, tout du moins - est celle du fils dont Honoré ne sait que faire, et qui ressemble à un prix sans valeur gagné à une fête foraine, une sorte de nounours géant qu'encombré on traiterait sans ménagement. Cette modernité à rebours - une famille homoparentale heureuse en 1993 avec garde alternée et père atteint du SIDA - est à la fois publicitaire et d'une facticité révoltante. Les premiers mots échangés par Delandonchamps et son fils de 8 ans sont les suivants :
- Qu'est-ce que tu fiches debout à 1h du matin ?
- J'ai envie de faire pipi.
- On ne pisse pas à 1h du matin ! Va te recoucher !
L'enfant n'existe jamais, à part dans une scène tardive avec Lacoste où il révèle son prénom, Louis (tout le monde préfère l'appeler Loulou), et c'est tant mieux tant il semble le témoin innocent des vicissitudes des adultes. Au final, il est possible de voir dans ce Louis, outre Garrel qui a refusé de tourner dans PAECV, la figure du spectateur laissé de coté, à qui on fait semblant de destiner un film au fond pour personne, et qui doit se retenir jusqu'au bout. La dramaturgie se limite à cette mise en scène de l'interruption entre personnages principaux (logorrhéiques) et secondaires (vite évacués). La reconstitution de l'époque est encore plus minimale que dans 120 battements par minute, film autrement plus ambitieux et réussi. Elle passe par la musique et les très nombreuses citations.

Phénomène curieux, le temps aidant, les influences de Christophe Honoré, rajeunissent, et les plus anciennes apparaissent déjà dans la tombe (le plan du père Lachaise avec celle de Truffault). La collection 2018 prêt-à-filmer d'Honoré, c'est du cinéaste homo années 80-90 sur tous les portants :
- tentative de sodomie pleurarde dans une chambre d'hôtel à papier peint triste (Patrice Chéreau et son Homme blessé, peut-être la seule scène opérante et vraiment gênante du film avec, mixé très en avant, le bruit du plastique humide qui se dérobe, sploooshhh)
- mamours sérodiscordants à l'hôpital (Une nuit ordinaire, un court de Jean-Claude Guiguet)
- badinage capillotracté dans un cinéma avec chinoiserie à l'écran (Good bye Dragon Inn de Tsai Ming-Liang, quoiqu'on soit beaucoup moins disert chez Tsaï)
- ballet nocturne sur lieux de drague homo avec corps qui se frôlent, tout ça (Querelle de RW Fassbinder ou Les Nuits fauves de Cyril Collard ?, on hésite encore)
- discussion enamourée au bord d'un canal par une nuit de pleine lune (l'ignoble Théo et Hugo dans le même bateau des Ducastel et Martineau, seul film du lot qui soit pire encore que PAECV).
Pareille liste n'est pas exhaustive. Honoré nourrit son film comme il peut en prenant là où les sentiments existent, ce qui ne saurait être le cas chez lui. Son traitement du SIDA laisse ainsi rêveur tant il est anachronique, pour dire les choses poliment ; il n'apparaît dans le film que comme une indélicatesse faite à des gens géniaux, merde alors.... Cette minimisation se retrouve dans la direction des acteurs qui jouent la maladie comme l'ivresse légère chez Cukor (l'effarante scène dans la baignoire entre l'amant moribond et Deladonchamps).

Après avoir fustigé à plusieurs reprises la sentimentalité par la bouche de ses personnages, Honoré s'arrange au final pour faire pleurer Margot (disons plutôt Léa ou Mathis) sur la destinée de Jacques, après qu'une décision capitale ait été prise, surgie de nulle part comme un train dans la nuit (il faut bien aussi que film se finisse). A vouloir gagner sur tous les tableaux, on perd généralement sur tous, ce peut être la morale de ce film autant complaisant qu'inepte. Plaire aimer et courir vite ? Voir, détester et oublier vite, pour dire mieux..
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