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1987

 
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lldemars
Invité





MessagePosté le: Ven Fév 03, 2012 16:51    Sujet du message: 1987 Répondre en citant

Bon ; après en avoir un peu causé avec Quarton à Angoulême, qui avait envie de lire ce texte mais pas forcément de se procurer le numéro de Jade où il est publié, il lui a semblé que ce n'était pas idiot de le faire lire dans Enculture, que ça pouvait intéresser certains d'entre vous.
La demande qui a présidé à l'écriture de ce texte était telle (évoquer ses 20 ans) qu'il s'est pratiquement écrit contre son objet, du moins dans la perspective de questionner assez brutalement la légitimité d'une telle question. Comme la notion de génération pourrit autant l'analyse historique de la bande dessinée que celle de mentalités pourrit l'histoire tout court, ça m'a semblé intéressant de tourner lentement autour de ça pour en saper la catégorie et ouvrir à une pensée à la fois plus fluide et plus subjectivée d'une histoire.




1987

Il n'y pas besoin de lire Aden Arabie pour savoir qu'avoir vingt ans est une belle saloperie à vivre ; pour peu que vous ayez un peu de cervelle et quelques désirs affirmés de vous arracher aux lieux communs, vous serez, par les plus âgés, toisé dans le pire des cas et regardé avec attendrissement dans le meilleur. Si par malheur vous énoncez avec fermeté des positions intellectuelles séditieuses ou tout simplement neuves, des choix artistiques singuliers, qui donc vous regardera autrement qu'un esprit atomisé en attente d'un corps solide et d'un peu de raison ?
Mon propre entourage de contemporains — du lycée à l'université — véhiculait déjà largement la lourdeur infectieuse de leurs parents : haine atavique des intellectuels, conservatisme artistique, lâcheté politique, hideur morale, bêtise satisfaite, inculture érigée en règle et dix huit trains de retard systématique sur tout. Chez leurs aînés, ce qui avait été encore un peu chair s'était figé lentement en os. Il m'a fallu attendre l'âge de 35, 40 ans pour qu'enfin on commence à m'écouter autrement - c'est-à-dire avec gêne - et à me regarder simplement comme un dégénéré. Enfin, s'est arrêtée la litanie condescendante des « tu verras, tu changeras » et ma vie sociale s'est graduellement dépeuplée des gens nuisibles à ma santé, soit d'à peu près toute l'espèce humaine. Il faut rester vigilant : ceux à qui le monde appartient déjà (les optimistes, selon Bierce, qui sont fatalement de belles crapules) s'imaginent facilement que la conversation leur est un dû. La mienne n'est un dû pour personne, c'est ma seule vraie victoire sur le temps passé. Voilà pour mes vingt ans et le reste...
Évidemment, toute cette cochonnerie est anhistorique, sans lien déterminé avec ma propre jeunesse. J'imagine ces rapports, ces dispositions, d'une bien triste éternité : la jeunesse d'Hérodote devait être un enfer, et malheur à la chétive créature pleine de vrais appétits qui a vingt ans en 2011. Comme elle doit se sentir abandonnée de tous!
D'une manière générale, j'aimerais bien que ce texte rende perceptible combien il est vain, et même franchement malsain, de chercher à fixer les époques, à en arracher les passagers à leur propre singularité pour préférer les avaler dans des notions de siècle, de générations, de périodes. L'histoire des mentalités est un cul de sac (1), et le pire tour à jouer aux humanités en révolte, singulières, isolées, est de les noyer dans leurs décennies prétendument établies en toutes valeurs (« Ah, mais dans les années 10, tout le monde est colonialiste ! », « Ah mais dans les années 30, tout le monde est antisémite ! ») en créant pour eux la catégorie miraculée des exceptions (2) pour cacher sa propre lâcheté sous le tapis. Le roseau pensant a une fâcheuse tendance à naître et mourir courbé ; que pourrait-il savoir de ce qui se passe un peu au-dessus de sa tête?

Il faudrait tenter de rendre palpables à la fois ces années-là (c'est en 1987 que j'ai vingt ans) et ma propre jeunesse comme condition, sans réduire circonstances, situations, productions, à de simples signes fétiches ; redonner plasticité et ambiguïté à une période donnée, c'est la redonner possiblement à toutes. L'histoire, non serviam, est un cauchemar dont j'aimerais me réveiller (3).
Il y a des chances pour que ma relation des années 80 soit désordonnée : j'y laisserai apparaître dans les clignotements bordéliques du souvenir, les événements, les rencontres etc., comme sont profondément désordonnées elles-mêmes l'acculturation et la construction du monde chez un homme en formation. Possible également que quelques dates se superposent, s'emmêlent, que la chronologie se disloque : je n'ai aucune envie de fouiller dans ma vie avec méthode.

C'est assez simple et vite convaincant de balancer un mépris panoptique sur une période comme celle-là, quand elle est aussi perceptiblement indigne : il n'y a aucun besoin d'instruments d'optique compliqués pour ça. C'était très visiblement merdique et la place de la bande dessinée comme celle des autres disciplines accompagnait le saccage généralisé. La vie politique française - à vrai dire la vie politique de la plus grande partie du machin occidental - se calfeutrait dans le chant du Marché comme double du monde, comme double ÉVIDENT et NATUREL du monde. On pourrait déduire de cet énoncé que nous ne l'avons pas vraiment quitté en 2011 ; ce serait écarter la profonde mélancolie qui accompagne aujourd'hui l'évocation de ce double monstrueux (le souvenir de la défaite n'a probablement pas le pouvoir de mobilisation de la guerre). La forme dévastatrice du libéralisme de l'époque serait, je crois, assez difficile à imaginer pour un jeune type d'aujourd'hui... C'était une espèce de fête continue, braillarde et colorée, de la marchandise. Je ne dis pas que cette chenille multicolore et bruyante ne sillonne plus notre espace (la Fête de l'entreprise (http://www.le-terrier.net/polis/yabonpatron/index.htm), reconduite chaque année, en est un marqueur accablant), mais chacun de ses pas entraîne protestations et rejets sur son passage. Or, c'était à cette époque-là un flux qui touchait tout phénomène, toute activité, qui transformait en merde kitsch chaque moment de la vie, chaque objet, chaque son. C'était la foutue joie copine de l'assouvissement totalisé barbouillée par Jean-Paul Goude. La publicité était considérée sans questionnement comme une forme d'art moderne, comme la démonstration qu'art et réussite sociale s'accomplissaient de concert au service de la marchandise.
C'était si puissant que j'ai encore l'impression d'avoir traversé quatre ou cinq ans de vie civile en état d'hypnose. La peinture célébrait en France son accès triomphal à la connerie en singeant les traits les plus caricaturaux d'une bande dessinée réduite à ses enfantillages (Figuration libre), pendant qu'elle gâtifiait son histoire en Allemagne (Nouveaux fauves) et qu'elle abolissait la sienne dans le pudding post-moderne en Italie (Transavant-garde).
Un peu partout, la ligne claire dégénérait en une série de dessins de coiffeurs assez contents d'eux-mêmes, d'une nervosité toute feinte et poseuse. Le succès de cette imagerie décorative encourageait la paresse du plus grand nombre de dessinateurs et le passage machinique à l'illustration, au poster, au calendrier, à la babiole. Certains sont toujours présents et déroulent infiniment les bandelettes de la momie ligne claire dans des récits aussi inoffensifs qu'indistincts. Ce qui avait été une lecture des années 50 critique et acerbe par Chaland, devenait la célébration de ces mêmes années par le clinquant redoublé de leur propre propagande marchande. Les choses étaient rentrées dans l'ordre et le conservatisme pouvait épingler un fétiche de plus à son costume de ville.
Aujourd'hui, les conservateurs on gardé cette habitude de se présenter comme les fleurons du modernisme, mais personne n'est dupe de leur archaïsme fondamental : le ton de papa a repris, à quelques exceptions prêt, la place qu'il avait cédé au bavardage copain pendant presque vingt ans.
Le plus gros des autres publications se partageait entre le retour à une bande dessinée historique desséchée d'académie, le retour de genres tombés en désuétude (comme l'héroïc-fantasy) et le bégaiement des formes enfantines franco belges. Il n'y aurait rien à redire là-dessus (je n'étais après tout pas plus concerné par ce type de publications à l'époque que je ne le suis aujourd'hui par celles de Delcourt ou de Glénat) s'il n'y avait eu ce sale goût laissé dans la bouche par un renouveau inattendu de formes archaïques. Quelque chose comme un retour à l'ordre jusque dans le parc pour enfants.

Ce n'étaient pas les auteurs ni l'invention qui manquaient, pourtant ; on voit mal pourquoi une époque serait plus inféconde en esprits vifs qu'une autre. Pour juger du très large spectre des voies explorées il suffit de s'imaginer alors découvrant les œuvres de Muñoz et Sampayo, de Glen Baxter, de Elles sont de sortie, de Poussin, Barbier, Teulé, Shlingo, ou encore d'ouvrir la seule collection Pied Jaloux des Humanos qui avait présenté un éventail de livres incroyables et beaux, ceux de Masse, Eberoni, Claveloux, Burns etc. Tout ceci était, très littéralement, étonnant. Mais tout ceci faisait déjà partie du passé. Après le milieu des années 80, période à laquelle je reviens somnambuliquement d'une année désastreuse à l'école de BD d'Angoulême, il n'y a plus un éditeur prêt à miser un kopeck sur toutes ces merveilles.
Certains auteurs se sont arrimés, espaçant leurs publications en attendant des jours meilleurs, d'autres ont abandonné toute écriture de bande dessinée.
J'en parle évidemment aujourd'hui riche d'une analyse rétrospective, avec cette volonté de clore qui fait balayer tout obstacle aux généralités tentantes ; mais il m'aura fallu en vérité quelques années pour comprendre que quelque chose s'était effectivement brisé, que j'allais devoir moi aussi, sans doute, lâcher la bande dessinée.
En 1987, J'ai encore très fraîchement en tête les murs de réprobation rencontrés à l'école d'Angoulême deux ans plus tôt pour n'importe quel aspect de mon travail : dessin pas fini, histoire incompréhensible, etc. Sans la rencontre providentielle avec Forest, je crois que j'aurais déjà balancé à ce moment-là toutes mes planches. Sans cette rencontre, en tout cas, qui s'est clairement déroulée contre cette situation pédagogique grotesque, ce passage à Angoulême n'aurait été qu'un échec sans nuance. Je repars sans avoir vraiment foutu grand-chose de remarquable, mais avec les bases jetées d'un stimulant boulot théorique à venir.
Je m'installe à Rennes, je rentre à l'université. Doux crétin provincial, j'en attends un bouillonnement créatif et intellectuel susceptible de réparer le gâchis Angoumoisin. Je n'y resterai pas plus d'une année et demi (j'apprends assez vite à ne plus travailler contre moi-même). Un petit bouquin doit sortir bientôt, chez Futuropolis, un petit livre dans la collection X. Je ne me doute pas encore que tout ça est en train de mourir, que le livre ne se fera pas, pas encore alerté par la forte odeur de sapin dans l'air. Je me doute encore moins de la chance extraordinaire que représente l'abandon de cette publication (Un portrait de l'artiste avec son chien vers 1960), non seulement parce que ce livre est très mauvais, mais surtout parce que je vais pouvoir apprendre à faire ce qui est aujourd'hui encore le moteur même de mon existence et de mon travail : me perdre.
À ce moment-là, dans le champ de mes pratiques comme dans celui de mes lectures, la bande dessinée est très loin d'occuper une place centrale, quotidienne ; c'est plus sourd que ça, c'est une lubie qui ne se manifeste que très rarement sous la forme de planches, c'est un paradigme emportant toutes sortes d'autres disciplines dans son système, c'est une perspective théorique qui ne me quitte pas, c'est la forme même de ma procrastination. J'accumule les notes sur d'invraisemblables récits réticulaires à venir, je bâcle pour Kitsch magazine des planches saturées de textes croisés qui sont plus des mémos de travaux à faire que de véritables récits lisibles ; je passe d'innombrables nuits de conversations à formuler ce qu'une bande dessinée, idéalement, SERAIT. Si quelque chose trahit une certaine lucidité devant l'état réel de son mode de diffusion, de lecture, devant son avenir immédiat également, c'est sans doute cette façon de repousser l'écriture de bande dessinée dans un futur possible. La chose dont je ne doute pas alors - je n'aurais trouvé aucun allié à l'époque pour défendre cette position - c'est de la puissance sans comparaison de cette discipline devant toutes les autres et la possibilité d'y voir apparaître les plus grandes œuvres d'art.
D'un point de vue social, ce n'est pas du tout le biotope que je me donne alors. J'ignore à peu près tout du monde de la bande dessinée et ses rares apparitions dans mon champ de vision me navre. À vrai dire, tout ce qui ressemble à un monde, rapidement, me navre (trait qui s'est un peu adouci chez moi : je n'ai plus d'urgence à trouver ma place). Je travaille alors à des lectures publiques qui m'entrainent assez vite dans la société des poètes - qui me navre -, à des expositions de peintures et des installations conduisant assez vite à de navrantes navreries ; j'aurai tout le loisir ultérieurement de me navrer du monde musical. En attendant, je dessine déjà de moins en moins et de belles amitiés m'amènent à écrire beaucoup plus. Si tous les milieux que je traverse sont touchés par la même paresse et la même complaisance à se broder des coussins, aucun autant que celui de la bande dessinée n'en tire cette folle satisfaction. Ce que j'observe alors, et que je note : c'est un milieu de vie ralenti par les paradoxes culturels auxquels s'arriment ses acteurs ; un de ceux où l'on rencontre beaucoup d'idiots hautains qui se sentent renforcés de leur abdication, qui croient avoir liquidé une pensée quand ils la balancent dans les filets de la poésie (dont, évidemment, ils ne savent rien que l'éculement des poncifs) ; c'est le côté bourgeois balzacien de créatures qui, paradoxalement, ne se sentent jamais aussi pleines de leur supériorité intellectuelle que devant ce qu'elles ne comprennent pas .Tout ceci, aujourd'hui, est toujours aussi vrai. C'est un milieu où l'on rencontre d'étranges adultes capables de disputer sévèrement la modernité du Bar à Joe mais de trouver géniaux Carl Barks ou Macherot sans discussion (du moins les marottes de l'époque, dont je me fous tout autant que celles-là et que j'ai oubliées). C'est un milieu qui développe une profonde indifférence à l'égard de tous les autres, industrie qu'ils lui disputent âprement mais dans lequel il les écrase tous (cet aspect-là, même si c'est sur la base et dans la perspective de nombreux malentendus, me semble s'être amélioré : on a cessé de cracher sur des peintres morts depuis 40 ans ou de s'étonner des hardiesses littéraires de 1920).
Il serait tentant devant un tel panorama d'accompagner Deleuze évoquant, peu de temps avant sa mort, la décennie à venir : il nous préparait à traverser un désert. Il l'annonçait sans dramaturgie inutile, il n'avait rien d'un prophète crépusculaire. Mais tout de même, il nous préparait à l'exode intérieur.
Ce n'était pourtant qu'à moitié vrai. C'était une forme de repos. Ou plus exactement : c'est une forme régulière de Shabbat : « Arrête, respire, réfléchis! » (4)
C'est un désert apparent. Il est tiqueté de mirages qui matérialisent des formes historiques distantes. Les nouvelles formulations d'un monde et leur réalisation sociale sont profondément asynchrones. Nous croyons le savoir, nous le disons parfois, mais nous rangeons ça assez rapidement dans l'armoire à proverbe où, entre deux peintres méprisés de leurs temps respectifs, nous oublions cette profonde asynchronicité.
Cette année-là, l'année de mes vingt ans, j'en ai un exemple immédiat : je file à Paris avec un ami, très ému de pouvoir rencontrer Romain Slocombe dont j'aime intensément L'art médical ; j'ai l'espoir de lui soutirer un texte et quelques photos pour une publication (5). Le fait que son travail, comme celui du groupe Bazooka, prenne une telle place dans ma propre culture et façonne si nettement mes goûts me laisse dans le plus grand désarroi quand je rencontre un homme étonné de l'intérêt que deux jeunes gens peuvent bien lui porter. Il remplit effectivement mon monde, mais n'a aucun effet sur celui des autres. Ce type d'écart ne présente à ce moment-là aucun caractère d'évidence pour moi. Il est le premier d'une série sans fin de hiatus historiques qui constituera peu à peu mon véritable ordre du monde. C'est sans aucun doute une banalité, mais il n'est pas inutile de rappeler de temps en temps combien toute reconnaissance publique se fonde sur un faisceau de quiproquos, de concrétions hasardeuses, d'omissions inespérées. L'amitié elle-même est un puissant foyer d'invention dont la matière rêvée est plus lourde et plus dense que la chair humaine. L'amour nait en se roulant aux pieds d'approximations et disparait dans des erreurs de jugement. Si vous m'attribuez une qualité, cherchez qui, avant vous, en a déposé le brevet et pourquoi. Si vous me haïssez, ce n'est probablement qu'une question de train manqué : dix minutes de plus ou de moins et nous étions faits l'un pour l'autre. La mort, surtout, tire de très médiocres portraits : à peine la cérémonie achevée, la procession des témoins inaugure la fabrication infinie des faux (6).

C'est pour moi une période étrange de découvertes, celles de choses en train de mourir. Ce n'est pas à proprement parler une suite de rendez-vous manqués - les œuvres sont bien là, visibles, lisibles - mais le sentiment étrange de placer, à chaque nouvelle voie, mes pas dans les pas d'un marcheur crevé très loin devant moi.
Si c'est bien l'époque où les plus belles revues disparaissent (où le nombre des éditeurs chute vertigineusement) c'est également celle où nous avons enfin le temps de les lire arrachées à leur contractualité, à leur urgence. C'est celle où il est facile de rendre heureux ceux qui vous entourent et qui traversent avec vous le désert : on peut acheter des piles de 10/18 dont personne ne veut plus et abreuver ses proches de Fuzzy Sets ou Compact, de Louve Basse, des actes des colloque de Cerisy consacrés à Artaud, Bataille et des dizaines d'autres merveilles vendues au kilo. C'est peut-être un travail nécessaire d'arracher, au fond, les grandes œuvres aux causes fébriles et fugaces du monde où elles sont apparues ; dans leur temps, elles sont le plus souvent illisibles, injoignables, prises dans le siècle. Peu après, rien ne les prescrit plus, le bruit s'est étouffé autour d'elles. Elles sont alors suspendues à ce moment épiphanique tendu entre le lieu commun d'un univers dont la profusion n'est qu'un hasard gaspilleur et le le lieu commun plus tardif qui les verra assagies, amoindries, bégayées par la copie.
J'ai vingt ans et j'accumule les revues de la décennie précédente : Traverses, Tel Quel, Change, TxT etc. Je récupère tout ce que les bouquinistes m'abandonnent sans regret pour des clopinettes, Willem, Gébé, ce qui me manque de Bazooka, les ruines de Futuropolis…
Je ne voudrais pas laisser imaginer que rien ne vient travailler cette décennie-là de l'intérieur : la quasi invisibilité des grandes œuvres en train de se créer donne à chaque rencontre avec elles le caractère exaltant et clandestin d'une visite au bordel ; ce sont les première VHS qui circulent et peuvent trimballer les films invraisemblables de Lynch sur des copies voyageuses de Grandmother, les courts-métrages de Greenaway, les vidéos expérimentales de Zbieg. C'est la création des grandes œuvres acousmatiques dont chaque son est un choc, une surprise à laquelle rien ne vous préparait et c'est également la période d'une intense production sonore expérimentale et industrielle ; écoutes collectives de De Natura Sonorum, mais aussi échanges de K7 invraisemblables de Stenka Bazin, Merzbow, Psychic TV. Dans l'abaissement terrible du monde au-dessus de nos têtes quelque chose d'imprévu est en train de naître dans ses souterrains.
À la surface, de temps en temps, des éclats lumineux— qui continuent à féconder aujourd'hui encore mon écriture en bande dessinée — éclairent ces années 80 finissantes : après Prénom : Carmen, Passion, Godard vient de sortir coup sur coup Détective, King Lear, Soigne ta droite. Cette série compose à mes yeux ses plus beaux films, les plus subtils, qui ne reculent pas plus devant la complexité que devant des énoncés très simples, qui s'y distinguent comme une araignée colorée dans un champs confus d'herbes emmêlées : un doigt pointé vers un écran cathodique, une zone précise de pixels, une voix hors-champs disant « l'histoire est là ». Images, énoncés, constructions narratives de Godard ou de Ruiz vont radicaliser mon regard sur le scénario, sur la narration en général, et contribuer à ma désinhibition... Ils font beaucoup à l'époque pour m'ouvrir à ma propre déraison sourde, à la libération de ma propre raison déraisonnable c'est à dire : à la nettoyer des lieux communs qui font la déraison de l'ordre constitué (une différence accommodante). C'est une chose d'avoir la déraison pour objet (le « j'ai un projet : devenir fou » de Dostoïevski), chose commune à tous ceux qui ont vingt ans en même temps que moi à ce moment-là (et probablement à tous les jeunes gens du monde, à toutes les époques) ; mais si elle naît dans la posture, elle peut tout aussi bien disparaitre comme on change de chapeau et produire d'abominables créatures raisonnables munies d'un code de la déraison acceptable. Ceux-là font la révolution accompagnée de la gendarmerie, c'est-à-dire qu'ils tiennent le secret de la pacotille.
Il me faut donc distinguer, d'abord, ce qui chez moi travaille vraiment à sa propre inconnue. Trouver une position, chasser toute posture.

Vingt ans (prenons ça — ce vingt ans — pour ce que c'est, pour une métonymie conventionnelle de la jeunesse) c'est la puissance enivrante - et qui s'ignore - de tout gâcher ; il faudrait être une drôle de petite merde pour s'inquiéter de gâcher à vingt ans (du genre de celles qui choisirent le côté gaullien des barricades en 68, par exemple) ; or gâcher est un irremplaçable moyen d'inventer des situations, c'est-à-dire des formes. Cette puissance subversive doit plus aux modèles de destruction solaire, au potlatch, qu'à n'importe quel duel contestataire. Il n'est pas de loi, ni de doctrine de la subversion. On constate simplement que surgit une fiction dont le sens ne s'épuise pas dans l'examen des causes qui l'engendrent ou de la situation où il émerge. La subversion ne se place pas là où se situe le contraire de l'ordre institué, mais là où n'existe plus aucun ordre ni aucune justification (7).
Une agitation invisible produit dans le plus grand désordre des œuvres merveilleuses pour lesquelles tout le dispositif de présentation restera encore à inventer. Pour certaines, cette invention sera prise dans la colle ; une musique qui attendra vingt ans une salle pour être jouée, une bande dessinée qui attendra vingt ans une impression pour être lue, etc. Évidemment, de nombreux fruits arrivent pourris sur les étals...
Ce serait cependant bien hasardeux d'assigner à ces terribles détours historiques une valeur positive ou négative : combien d'œuvres auraient été gelées sur place dans le premier état de leur formulation si elles avaient été accueillies immédiatement avec enthousiasme? Combien sont effectivement mortes-nées d'avoir été saluées si tôt que leur auteur les a hoquetées toute sa vie?

Ce courage ou ce désintéressement qui a fait tant défaut aux éditeurs durant ces années-là, serait-il retrouvé aujourd'hui? C'est très difficile à dire....Peut-être... Je vois passer de si belles choses. Parfois, je surprend une agréable compression du temps, qui me rend optimiste : il y avait à Rennes (il vient de disparaitre) un festival de bande dessinée de bonne qualité ; je me souviens très bien des réactions de mépris généralisé à l'égard de mon enthousiasme, quand je prétendais en brandissant les premiers bouquins de Bertoyas ( 8 ) que c'était la plus belle chose qui venait d'arriver depuis bien longtemps à Alphagraph (une zone de lumière dans cette ville sinistre) et qu'on allait parler de L'internationale Mutique ou de Ducon comme d'œuvres importantes pour longtemps. Il n'a pas fallu plus de cinq ans pour que ceux-là mêmes qui considéraient Bertoyas comme une plaisanterie révisent leur jugement et organisent une exposition de ses travaux au cours de ce festival.
Mais à côté du travail opiniâtre et courageux de certains éditeurs, il faut bien se rendre à l'évidence : ce qui est perçu comme une audace toute actuelle n'est la plupart du temps que la publication retardataire des vieilles modernités dont personne n'a voulu quand elles étaient vivantes. C'est un air éternel qui est sifflé : la petite chiure de vernis culturel qui donne les ailes d'aimer Rothko quarante ans après sa mort laisse toujours crever de faim Martin Bruneau ou Emmanuelle Le Pogam. On trouvera toujours des insoumis très adaptés au marché, vendant l'insolence congelée des audaces et des risques que d'autres ont su prendre avant eux et ont payé de leur solitude ; ceux-là survivront sans peine à la disparition de tous les éditeurs indépendants parmi lesquels, pour l'instant, il tricotent en attendant l'Espace Vital. Et tout repartira pour vingt ans.
Si nous pouvons brocarder sans risque les années 80, que publie-t-on de si neuf et de si passionnant ? Beaucoup d'expressionnisme niais, de sentimentalisme, de camelote révolutionnaire, d'impertinence poseuse qui n'effraie que la maman des éditeurs, de cette complaisance onirique qui n'intéresse que les psys de leurs auteurs, toutes les formes usées de l'écriture littéraire, toutes les vanités de l'autobiographie, de l'humour trash filé et épuisé comme se filent et s'épuisent en salles les corps de zombies, des jeux pataphysiques de vieux messieurs dans des corps d'adolescents etc. De l'académie, de l'académie, de l'académie. C'est l'horizon, la butte et la marche.
Il manque peut-être à ce milieu éditorial une machine critique interne, analytique et drôle, développant la puissance de travail de Fluxus dans les années 60 ou de Art & Language dans le monde l'art contemporain des années 70. Il faut croire que pour l'instant nous ne méritons pas mieux que Homais comme modèle théorique et comme directeur de conscience. À vingt ans, ça me ruinait. Sans doute parce que j'aspirais sans me l'avouer à être reconnu par mes pairs, parce que je craignais l'isolement, que je l'aurais vécu comme une défaite. Aujourd'hui, je m'en fous. Absolument. La perspective de faire un effort d'intelligibilité pour satisfaire la paresse de qui que ce soit est inenvisageable. Celle de mourir avec les trente lecteurs que j'ai gagnés en vingt ans et pas un de plus ne m'informe en rien d'autre que l'immense malentendu qui est au cœur de toute réussite sociale comme de toute éjection de son cadre. Ce qui m'informe sur mon travail, c'est l'observation de mon travail. C'est tout.
Le monde éditorial peut s'effondrer une fois encore, deux fois, ça n'a pas d'importance. Il renaîtra, sous une forme ou une autre, mais rien ne saurait arrêter, de l'autre côté du miroir, l'effervescente écriture des œuvres vives qui font le quotidien de mon émerveillement, de mes découvertes, et qui réduit à néant toute tentative de les geler dans une époque, une tendance, une génération.


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1 Jean Wirth, La fin des mentalités (dossiers du GRIHL 1988)
2 Exeptio probat regulam... L'exception met la règle à l'épreuve (Bierce)
3 J. Joyce
4 Philip Roth in Opération Shylock
5 Il me les confiera, mais mon incompétence éditoriale fera échouer ce beau projet. Je n'ai jamais osé me rappeler à son souvenir depuis.
6 Mon hétéronyme W.
7 Jean Duvignaud sur l'anomie
8 Merci à Lionel Tran pour m'avoir à l'époque présenté cet homme et son travail
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Mathurine
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 14:49    Sujet du message: Répondre en citant

J'ai presque tout lu hier soir du numéro de "Jade" dans lequel ce texte a été bon an mal an intégré. Presque, car malgré ma très grande tolérance à l'attente et à l'ennui, il y a des limites à ce que je suis prête à m'infliger comme lecture continuée.

Pour faire une comparaison outrée, c'est Kierkegaard qui piraterait un catalogue de France Loisirs. A part quelques planches, ce numéro de Jade m'a plongé dans un ennui profond, solide, pour le résumer en deux mots, on est dans le petit mickey autobiographique qui se croit malin par sa seule position "alternative". En fait, il est très bête, et très content de lui de n'être rien.

Effectivement ce texte contient la critique du journal dans lequel on l'accueille, ceux qui l'éditent au milieu de ce néant aveugles sans doute à ce que le texte veut énoncer.

Pour citer, un peu malhonnêtement, quelques phrases qui pourraient incroyablement bien s'appliquer à ce canard même (je vous rassure, il fait bien coin coin) : « Aujourd'hui, les conservateurs on gardé cette habitude de se présenter comme les fleurons du modernisme, mais personne n'est dupe de leur archaïsme fondamental : le ton de papa a repris, à quelques exceptions prêt, la place qu'il avait cédé au bavardage copain pendant presque vingt ans ».

Ou encore : « Quelque chose comme un retour à l'ordre jusque dans le parc pour enfants ».
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Zahad le rouge
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 15:17    Sujet du message: Répondre en citant

Tout à fait d'accord, mot à mot ce que j'ai pensé en lisant le Jade, qui fait assez honte à lire... Du coup je jubilais en lisant ce texte, beau piratage.
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lldemars
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 15:20    Sujet du message: Répondre en citant

J'essaie, du mieux que je peux, surtout, de déjouer cette vilaine habitude de clamper l'organisme historique en typologies, de bousiller les frontières entre les décennies, générations, etc, toutes formes qui n'aident pas à penser (qui visent plutôt le contraire). Si je n'y suis pas parvenu, j'espère au moins avoir rendu les membranes poreuses (et puis même si les années 70, oui, semblent bien avoir existé - avec toutefois des contours excédent bien le jeu formel de la décennie - il reste à prouver que les périodes suivantes se constituent d'autre chose que d'arbitraire. Murray, dans son excès, me parait moins grossier en nous gelant depuis un bon siècle dans le XIXe, que nous en tentant de dessiner des 80's, 90's etc).
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Bicéphale



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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 15:44    Sujet du message: Répondre en citant

Mathurine a écrit:
Pour citer, un peu malhonnêtement, quelques phrases qui pourraient incroyablement bien s'appliquer à ce canard même (je vous rassure, il fait bien coin coin) : « Aujourd'hui, les conservateurs on gardé cette habitude de se présenter comme les fleurons du modernisme, mais personne n'est dupe de leur archaïsme fondamental : le ton de papa a repris, à quelques exceptions prêt, la place qu'il avait cédé au bavardage copain pendant presque vingt ans ».

Ou encore : « Quelque chose comme un retour à l'ordre jusque dans le parc pour enfants ».

On pourrait non seulement appliquer ces phrases au canard mais aussi à nombre d'autres animaux de la sphère dite "indépendante" (certains lapins par exemple...). Ce que peu auront su voir venir avec l’avènement en fanfare de la "nouvelle bande dessinée", c'est le nouvel uniforme (on ira pas jusqu'à dire le nouveau bruit de bottes pour éviter de froisser les plus sensibles). On dansait autour du cadavre de Peyo, pendant que Super-Peyo prenait sa place... Pas glop.
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lldemars
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 16:01    Sujet du message: Répondre en citant

Mathurine a écrit:
J'ai presque tout lu hier soir du numéro de "Jade" dans lequel ce texte a été bon an mal an intégré. Presque, car malgré ma très grande tolérance à l'attente et à l'ennui, il y a des limites à ce que je suis prête à m'infliger comme lecture continuée..


je n'ai pas pu le finir moi non plus... Soupir... J'avais envie, pourtant, je voulais...

Mathurine a écrit:
Pour faire une comparaison outrée, c'est Kierkegaard qui piraterait un catalogue de France Loisirs. A part quelques planches, ce numéro de Jade m'a plongé dans un ennui profond, solide, pour le résumer en deux mots, on est dans le petit mickey autobiographique qui se croit malin par sa seule position "alternative". En fait, il est très bête, et très content de lui de n'être rien.

Effectivement ce texte contient la critique du journal dans lequel on l'accueille, ceux qui l'éditent au milieu de ce néant aveugles sans doute à ce que le texte veut énoncer.

Pour citer, un peu malhonnêtement, quelques phrases qui pourraient incroyablement bien s'appliquer à ce canard même (je vous rassure, il fait bien coin coin) : « Aujourd'hui, les conservateurs on gardé cette habitude de se présenter comme les fleurons du modernisme, mais personne n'est dupe de leur archaïsme fondamental : le ton de papa a repris, à quelques exceptions prêt, la place qu'il avait cédé au bavardage copain pendant presque vingt ans ».

Ou encore : « Quelque chose comme un retour à l'ordre jusque dans le parc pour enfants ».


Oui. C'est assez attristant, cette espèce de schize de Jade et nous sommes nombreux, jusque dans son équipe même, bien entendu, à ne voir que ça, ce truc qui saute aux yeux, qui envahit tout et finit par effacer même ce qu'il y aurait de bon dans cette revue... Il y a, pour ce numéro, bien entendu, le boulet contre la pensée que représente une telle question et ce par quoi elle est entraînée : « Jade a 20 ans ; et pour vous, c'était quoi avoir 20 ans? ». On la comprend vite, la nature de ce questionnement inquiet, celui qui pousse à regarder par-dessus son épaule en se demandant : « Qu'est-ce que j'ai foutu pendant ces 20 dernières années? ». On comprend également le désarroi naissant quand la seule réponse qui vienne à l'esprit est : « un gros cube ». Lorsque Dionnet préface le 50e numéro de Métal, il donne un étrange texte crépusculaire, qui dénigre jusqu'aux pages du numéro présent et qui donne pour seule conclusion optimiste : « bon, au moins, il y a ça. Il y a ce cube de tant de centimètres d'arêtes, constitué de la pile des Métal Hurlant publiés ». Et quoi d'autre?
La question est trop dirigée ( vers une articulation finalisante des actions singulières à leur devenir social ), elle comporte trop violemment son désir de réponse, d'UNE réponse ( « j'ai déplacé le Sahara » pour paraphraser le trait ironique de Borges - le vrai Borges, hein), pour mériter d'être posée. Elle liquide le travaille accompli dès qu'elle se pose. Ce qu'on a fait de sa vie quand on est éditeur ou artiste, à part la conduire dans ce qui nous apparaissait de la plus haute intensité, à part de ne faire que ce qui s'imposait à soi dans la plus grande clarté (et tant pis si on s'est gourré de clarté), qu'est-ce que c'est? Hé bien on s'en fout. On a le devoir de s'en foutre. La question mérite d'être instantanément refoulée par ce qu'elle ARRÊTE ce mouvement. Elle tue sa réponse.
Comment, donc, une telle question, qui fixe le mouvement, peut-elle se poser dans l'espoir qu'elle entraîne quelque chose de fécond, qu'elle aboutisse à de la prospection, comment peut-elle être posée dans une revue qui se donne pour s'ouvrir à l'avenir de la bande dessinée, sinon à la forme la plus vive de son présent (il me semble que c'est son enjeu avoué)?
Évidemment, il n'y a pas que ce numéro, qui pose problème, et là on rencontre l'autre écueil de Jade, de tous les numéros de ce nouveau Jade : prétendre avancer un espace théorique en refusant de constituer pour autant une équipe de chercheurs. La revue se fait avec les auteurs de la maison d'édition, se compose de leurs réponses, quels qu'ils soient. C'est une autre impasse. La maison d'éditions, « 6 pied sous Terre » est profondément hétéroclite dans ses pistes éditoriales, elle l'est jusque dans son équipe, et c'est ce qui concourt à la rendre aussi aimable qu'insaisissable. Ce côté bordélique me va très bien. La nature même de mon travail s'accommode bien plus des zones de confusion que des lignes éditoriales fermes, toute forme de dessein se condamnant, tôt ou tard, à s'interdir la découverte faute d'ouverture à sa propre inconnue. Se dégage de mes expériences avec cette maison d'édition une très intense chaleur humaine. Mais ce qui marche pour le vacarme d'une telle maison d'édition est mortifère pour la revue. La chaleur humaine, ça ne suffit pas à produire une revue théorique. Ça peut même rendre aveugle à ses enjeux, aux questions de jugement posées apr les participations. Alors on ne voit plus que ça : un appel au secours pour une théorie soutenue par de la bande dessinée audacieuse, que se présente sous la forme de bavardages insignifiants soutenus par de la progéniture franco-belge...
Il va falloir attendre, je pense, attendre encore, que la revue prenne sa forme ; elle n'a pas 20 ans sous cette forme ; de ce point de vue, elle vient de naitre. Et ça lui est d'autant plus compliqué qu'avant même de naitre elle doit liquider ce qu'elle a été, sous une autre forme, qu'elle doit se constituer - ern quelque sorte - contre elle-même contre son passé de canard bordélique, partant tous azimuts, alors qu'elle n'était que le brouillon de la maison d'édition à venir. Ce serait pas mal, aujoud'hui, qu'elle n'en devienne pas le cénotaphe.
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lldemars
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 16:05    Sujet du message: Répondre en citant

Mathurine a écrit:
J'ai presque tout lu hier soir du numéro de "Jade" dans lequel ce texte a été bon an mal an intégré.



tout de même, il y est. Alors qu'il est bien long (relativement au format de la revue) et qu'il est quasiment le seul texte, placé en plein centre du truc (l'effet est assez vif, du coup, appuie très nettement sa présence).
Ceci nous dit quelque chose, notamment d'un certain courage de l'éditeur qui est loin d'être con et voit très bien ce que ce texte là charge contre les faiblesses mêmes de son environnement. Ce simple choix nous instruit sans ambiguïté du désir de cette revue. Attendons donc sa réalisation.
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 17:18    Sujet du message: Répondre en citant

D'un simple point de vue éditorial, les années 80 étaient misérables à côté des années précédentes, mais également en regard de notre présent. Je trouve des tas de choses merveilleuses, publiées aujourd'hui, que je n'aurais jamais trouvées à la période de mon adolescence (et pourtant, j'étais une putain de fouine-à-papier). Sous d'autres angles, les choses sont encore plus insaisissables : le politique du champ (les jeux des prédateurs pour lesquels nous sommes invités à forclore notre pensée du politique) est abject, peut-être comme il ne l'a pas été depuis Vichy, et pourtant je suis réjouis par toutes les formes inventives, quotidiennes, que le travail politique en œuvre prend loin de ce champ. Le problème de ça va de mal en pis, c'est évidemment le ça.
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lldemars
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 17:41    Sujet du message: Répondre en citant

Alors, s'il y a une chose dont je suis persuadé, c'est bien que la télévision n'existe pas. Une fois qu'on a compris ça, on va tout de suite mieux. Ce n'est pas simple, dans un pays aussi pratiquant de faire entendre ça, mais ça ne fait pas l'ombre d'un doute pour moi.
Pour le reste, je crois qu'il en va des "trucs dont on cause" comme des images à la con dont Zahad s'encombre pour tenter un rire d'une distance que je me refuse à mesurer : on tire le maximum, même le pire, de l'endroit où on pose le regard et on le constitue en monde. On peut en pourrir, de ces conneries ; je ne crois pas du tout que Zahad en pourrisse, hein, j'ai foi en ce type, à fond! mais je ne crois pas non plus que les ordures qu'il va racler ici et là pour nous les exhiber le fasse au fond tant rire que ça. Et puis il y a la colère, évidemment.
Après, on joue beaucoup avec la colère possible, j'imagine, une sorte de prémisse au travail ; mais Je pense aussi qu'il est mauvais pour la santé de se gourer de colère à ce point. Il ne suffit pas d'être en colère pour s'élever. Inutile que je fasse le tableau du ressentiment, hein.
Artistiquement, intellectuellement, pouvoir compter sur quelqu'un, c'est précisément n'avoir pas à s'inquiéter que sournoisement il vous reconduise au monde tel qu'il se donne (pour seule forme possible, celle spectaculaire de sa nature). Si je dois aussi me méfier de vous - littéralement, hein, j'essaie d'envisager sérieusement cet endroit comme un lieu de production, sinon à quoi bon? de toute façon, ,je n'ai rien à perdre - alors il y a un problème. Et vous auriez beau jeu d'accuser le monde, le ça et toutes ces conneries.
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Mathurine
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 17:45    Sujet du message: Répondre en citant

lldemars a écrit:
Mathurine a écrit:
J'ai presque tout lu hier soir du numéro de "Jade" dans lequel ce texte a été bon an mal an intégré.



tout de même, il y est. Alors qu'il est bien long (relativement au format de la revue) et qu'il est quasiment le seul texte, placé en plein centre du truc (l'effet est assez vif, du coup, appuie très nettement sa présence).
Ceci nous dit quelque chose, notamment d'un certain courage de l'éditeur qui est loin d'être con et voit très bien ce que ce texte là charge contre les faiblesses mêmes de son environnement. Ce simple choix nous instruit sans ambiguïté du désir de cette revue. Attendons donc sa réalisation.


Monsieur De Mars,

Mon intervention ne visait pas à vous mettre dans une position intenable vis-à-vis de 6 pieds sous terre, qui est, il est vrai, l'un de vos éditeurs, et sans doute celui qui vous aura accompagné et soutenu le plus longtemps, avec la grande chaleur humaine de ses membres (anciens et nouveaux), dont j'ai rencontré certains, et avec certains desquels j'ai même une amitié forte. Je soutiens cette maison d'édition par ailleurs, tout ce qu'ils publient n'est pas aussi catastrophique que cette "revue", et j'apprécie humainement bien des membres actifs de 6 pieds sous terre, que je connais bien moins que vous, ce qui n'empêche pas une certaine ferveur lointaine (ces jeunes femmes me transmettent l'énergie de leur jeunesse, aussi distantes puissent-elles être).

Cependant ne soyons pas naïfs. Vous publiiez il y a quelques années, déjà, de forts beaux essais théoriques dans cette même nouvelle formule de cette même revue. Ils se voulaient, déjà, des invitations à l'activité théorique aux enjeux serrés. Depuis, la revue n'a eu de cesse de s'enfoncer dans des publications de petits mickeys rigolos, voulant voir dans la "blogosphère bd" une nouvelle génération, justement, alors qu'elle n'est que l'assèchement marchand d'une génération perdue, le scintillement mourant de la poussière de la queue de la comète - me voilà, encore une fois, trop lyrique, mais vraiment, je n'y lis rien qui vaille, jamais.

Alors non, vous ne ferez pas de Boris Mirroir, de James, de Terreur Graphique, ni des autres contributeurs, des théoriciens et des chercheurs. Je pourrais faire exception d'Ambre mais son intervention n'est que ponctuelle, et disons que sa voie se trace ailleurs que la votre. Et votre texte, aussi brillant soit-il, aussi prospectif se voudra-t-il, n'attirera personne dans ce torchon, et laissera indifférents ses seuls participants réguliers.

Je crains que vos rapports à Jade, et les miens comme lectrice, participent pour longtemps de l'invention de la solitude plus que d'autre chose. Je juge ici le numéro de cette revue comme lectrice, donc j'en livre une analyse critique, et rien d'autre, je me crois tout à fait libre de le faire sans faux semblant.
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lldemars
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MessagePosté le: Jeu Fév 09, 2012 18:53    Sujet du message: Répondre en citant

Mathurine a écrit:
Cependant ne soyons pas naïfs. Vous publiiez il y a quelques années, déjà, de forts beaux essais théoriques dans cette même nouvelle formule de cette même revue. Ils se voulaient, déjà, des invitations à l'activité théorique aux enjeux serrés. Depuis, la revue n'a eu de cesse de s'enfoncer dans des publications de petits mickeys rigolos, voulant voir dans la "blogosphère bd" une nouvelle génération, justement, alors qu'elle n'est que l'assèchement marchand d'une génération perdue, le scintillement mourant de la poussière de la queue de la comète - me voilà, encore une fois, trop lyrique, mais vraiment, je n'y lis rien qui vaille, jamais.

Alors non, vous ne ferez pas de Boris Mirroir, de James, de Terreur Graphique, ni des autres contributeurs, des théoriciens et des chercheurs. Je pourrais faire exception d'Ambre mais son intervention n'est que ponctuelle, et disons que sa voie se trace ailleurs que la votre. Et votre texte, aussi brillant soit-il, aussi prospectif se voudra-t-il, n'attirera personne dans ce torchon, et laissera indifférents ses seuls participants réguliers.

Je crains que vos rapports à Jade, et les miens comme lectrice, participent pour longtemps de l'invention de la solitude plus que d'autre chose. Je juge ici le numéro de cette revue comme lectrice, donc j'en livre une analyse critique, et rien d'autre, je me crois tout à fait libre de le faire sans faux semblant.


Mathurine,

Voltaire disait que « l'intérêt qu'on porte à croire une chose ne prouve pas l'existence de cette chose », et de ce point de vue, on peut dire qu'il chante à l'unisson avec vous. Oui, ce que je dis de Jade ressemble bien plus à mon désir qu'à son possible, à ce que je voudrais que cette revue soit plutôt qu'à ce qu'elle s'enterre à devenir.
Bon, je m'arrime à mes voeux, lourdement contredit par l'expérience, sans doute, comme je ne le ferais probablement jamais pour tant d'autres gens.
Effectivement, vilaine petite inquisitrice à fesses quimpéroises, il y a eu une longue période de rupture de ma part avec Jade, à un moment précisément où, y enchaînant de numéro en numéro les participations théoriques, je ne voyais pas pour autant changer tant que ça le cadre de travail (voir pas du tout), les textes et, surtout, les contributions dessinées (qui sont de loin le plus lourd handicap de la revue ; autant dire que pour une revue dont la bd est l'objet, il est effrayant de voir à quel point elle n'en est pas le sujet). Bon. J'ai arrêté d'écrire, notamment à cause d'un désastreux entretien d'un collaborateur dont je ne pouvais, politiquement, partager aucun des points de vue. C'était un vrai problème. Qui m'a taraudé un bon moment.
Et puis la revue a changé de format, ce qui devait aussi changer pas mal d'autres choses : l'espace disponible pour écrire est autre chose qu'un détail dans un cadre théorique, et Jade a quasiment doublé de volume depuis deux numéros. Et, également, des choses se formulent, au sein de l'équipe, équipe enrichie, élargie, qui mettent en lumière, accusent, les faiblesses du bordel et affirment la nécessité de tout revoir. Voilà. Evidemment, de ça, rien n'est franchement perceptible publiquement, et ce numéro est une sorte de chapelet de bulles à l'arrière d'un navire déjà en piqué depuis un moment. Un coup pour rien.
Être en porte-à faux avec l'équipe serait un soucis si j'avais des rapports malsains avec elle, fondées sur des silences, des consensus, des intérêts supérieurs à toute subjectivation possible, mais ça n'est pas le cas. Considérer Boris Miroir ou James ou n'importe quel avatar du même cauchemar climatisé comme un des facteurs aggravant de la revue ne m'attirera que son inimitié éternelle, ce qui me provoque un peu moins qu'un gaz et un peu plus qu'un soupir. ll n'y a aucune chance que ça endommage mes rapports avec ces personnes qui me rendent cette maison d'édition si aimable malgré ses défauts, parce que ces rapports son non-feints, tendres.
Là où vous vous trompez peut-être, je l'espère, c'est dans la certitude qu'un tel texte est impuissant à dire quelque chose aux acteurs de cette revue. Je pense que là-dessus, on doit se garder de toute sanction définitive, faute d'y trouver un argument pour l'éternité de laisser les choses telles qu'elles sont (ici, ou ailleurs).
Et si je me goure, c'est pas grave. Le pari vaut la peine d'être tenu. Un moment.
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