Les deux auteurs, je m'en branle un peu évidemment. Leurs textes bcp moins, surtout en ayant pas encore vu le film, malheureusement.
ps: Pipi me parait bouleversé par celui ci.
"Terrence Malick: l'arbre, la vie, l'ennui
17 Mai 2011 - Médiapart
Par EB
Les oiseaux ont chanté, les herbes dansé, les vagues roulé leur écume. Des chevelures ont brillé au soleil. Les sphères ont frappé leur immémorial tambour. La terre a tremblé. Que dis-je? L'univers. La Création. La totalité. Brad Pitt et Sean Penn – surtout Sean Penn – sont des figurants dans le nouveau film de Terrence Malick. Plus encore que dans La Ligne rouge (1998), plus encore que dans Le Nouveau Monde (2005), les rôles principaux de The Tree of Life sont tenus par, eh bien, l'arbre et la vie. L'Arbre. La Vie. En personne. Liés au cinéaste par contrat exclusif d'au moins cinq ans. C'est en effet en majuscules qu'il aurait fallu écrire cet article. Est-ce que cela ne ferait pas un peu mal aux yeux? Si.
Trois époques. Hier, les années 1950 dans une petite ville texane: un père –Brad Pitt – élève sévèrement ses trois jeunes garçons; l'un, apprend-on tôt, meurt prématurément (au Viêtnam? ce n'est pas impossible); la suite –en flash-back, donc – revient sur les enseignements prodigués par le père pour qu'ils deviennent «quelqu'un» dans un monde qui ne plaisante pas, les tentatives de la mère pour les soustraire à cette dureté, l'enterrement d'un camarade mort par noyade, les disputes, les jeux des enfants, leurs premières bêtises, les premières bagarres, les premières rébellions contre l'autorité paternelle…
Aujourd'hui: l'un des fils – Sean Penn – est un riche architecte; sa maison est superbe, transparente; il prend l'ascenseur, laisse un message d'excuses à son père; il semble très préoccupé. Avant-hier: le big-bang, longuement mis en images par nul autre que Douglas Trumbull, jadis responsable des effets spéciaux de 2001, l'Odyssée de l'espace (1968), avec lequel Malick cherche manifestement à rivaliser ici.
Cinq films en quarante ans, lecteur (traducteur?) de Heidegger, une réputation d'ermite perfectionniste, des rôles entiers coupés au montage, phase de travail volontiers étalée sur plusieurs années, projets annoncés, reportés: vous connaissez le tableau. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il peut être instructif de se reporter au livre de Peter Biskind récemment paru, Mon Hollywood (éd. Le Cherche-Midi), dans lequel est dressé un portrait pas piqué des vers de l'animal.
Terrence Malick aurait auditionné mille enfants pour sélectionner les trois fils de The Tree of Life. Il aurait appris à voler pour filmer les oiseaux. Il se serait laissé pousser des racines pour filmer les arbres. Il serait devenu poisson pour étudier le mouvement des marées. Il aurait fabriqué une machine à remonter dans le temps pour filmer les années 1950, et une autre, plus performante, pour filmer la Création.
Comment ne pas se moquer après la découverte d'un film sur la création du monde ayant fait tout un monde de sa propre création? Quelle autre parade pour échapper à l'emphase, à la redondance, quand c'est à chaque plan que, à la faveur d'un faux raccord, d'un changement de lieu ou de lumière, Malick semble vouloir rejouer une genèse ou une apocalypse?
Au point d'en oublier qu'il a un film à faire. Il n'y a presque aucune scène dans The Tree of Life. Que des chutes, des fragments, des instants, des instantanés. Un rayon de soleil qui darde à travers des branches, des oiseaux en formation au-dessus des toits, une jeune mère – Jessica Chastain – étendue dans l'herbe. Tout cela pourrait être superbe. Tout cela est en vérité épuisant. Car tout cela empêche le film d'avoir lieu, d'être autre chose qu'un best of de moments superlatifs pour un autre film encore et toujours à venir.
On dirait une bande-annonce. On dirait une publicité. Pour l'Arbre, pour la Vie, pour autre chose: la beauté des costumes, la propreté des meubles, le velouté de la lumière, les effets spéciaux, la musique. On dirait un album de photographies. On ne dirait pas le nouveau chef-d'œuvre d'un grand cinéaste. (Ce que Malick est bel et bien: Les Moissons du ciel (1978) laisse par exemple un souvenir ébloui. Peut-être est-ce parce que la nature y dialoguait, presque comme dans un film d'Eisenstein, avec les machines, les tracteurs… Plus de dialectique ici. Que des effets.)
Recréation
La création du monde était déjà au cœur du Nouveau Monde, qui traitait de la découverte de l'Amérique et de la figure de Pocahontas. Plus Malick avance et plus il semble voué à ne parler que de cela. Plus aussi il semble rapprocher l'instant de la création de celui de la destruction. Ou, pour le dire dans les termes de la voix off, rapprocher la voie de la grâce –n'attendre rien, se laisser saisir– et la voie de la nature – imposer sa volonté. D'autres cinéastes, et pas les moins immodestes, se sont attachés à cette proximité du miracle et de la catastrophe; Bertrand Bonello, il y a seulement deux jours; ou Werner Herzog, pour citer un contemporain de Malick. Mais Herzog est un as de la sourdine à côté de la pompe malickienne.
Le monde, sans doute, n'a pas été créé une seule fois, il s'arrête et recommence à chaque rencontre, et plus encore à la naissance d'un nouvel enfant, ainsi qu'il semble être dit ici aux rares moments où s'enclenche un récit. (Ce thème – le bonheur et la malédiction d'être père ou fils – est présent dans au moins un film sur deux cette année, toutes sélections confondues.) Mais tout recommencer, à zéro, à chaque plan? A chaque frémissement de feuille dans le vent d'une fin d'après-midi? A chaque fois que le soleil darde à travers les branches? A chaque échange de regard? Personne ne peut tenir l'exceptionnel à une telle cadence.
(Il y a sans doute, quelque part, une réflexion autour du débat américain actuel opposant évolutionnisme et créationnisme. Il y a peut-être même la volonté de les réunir. Mais elles sont bien cachées, cette réflexion, cette volonté. A moins qu'elles soient, comme tout ici: données d'emblée, puis sans cesse redonnées, sans progrès ni travail.)
On parlera – on a déjà parlé – de mystique, de métaphysique, de chant des sphères, de cinéma-cosmos. Bien sûr. On pourrait aussi bien parler de confusion, ou de schématisme (allez, un plan d'herbes toutes les deux minutes). Ou de fumisterie: imaginez un final sur une plage où tous les temps peuvent enfin se mélanger, et le fils serrer l'épaule du père, etc. On dira qu'il fallait de l'audace pour refuser la dramaturgie et tenter de rester en apesanteur pendant deux heures. De l'audace, encore, pour refaire la naissance du monde pendant une demi-heure où plus rien ne se rattache à ce qu'on entend ordinairement par «film» : il y a bien des beautés, en effet, dans ce long clip; bien des lourdeurs aussi; et pas mal de fonds d'écran pour vos ordinateurs. Tout film, dira-t-on aussi, rejoue à l'écran quelque chose de sa création ; absolument, et c'est pourquoi cette emphase démiurgique paraît au fond bien dérisoire. "
EB
Sinon:
"comment entrer dans ce film?
- son audace, d'abord; et pas seulement dans le risque d'une imagerie qu'on dit "new age"... il y a quelque chose d'un peu fou, de peut-être raté (au sens de la démesure) dans le film, saisir chaque chose depuis une infinité de points... dans une simple pelouse à la fois le jardin originaire, et la naissance de la propriété, des frontières ; là où eastwood sort son fusil pour protéger son espace, malick tente de comprendre, de saisir l'origine de la frontière, et de l'appropriation ; d'où vient la propriété, le propre, le mien ? question que pose cavell (qui fut je crois pas me tromper prof de malick), dans un des textes de son dernier recueil, à et avec locke...
- un cinéma du montage qu'on croyait révolu ; malick renoue avec vertov, la fameuse variation universelle ; l'image liquide, comme dit deleuze "qui effectue le système objectif total de l’universelle interaction", omniprésence de la caméra, de ses mouvements, de ses danses ; c'est pas l'homme à la caméra, c'est une espèce d'identification du point de vue de la caméra au point de vue de dieu ; lire les pages de deleuze au début de "image mouvement", celles du dernier rancière consacrées à vertov ; "rapport entre tous les mouvements et toutes les intensités".
il s’agit de connecter un point de l’univers à un autre point quelconque
- on ne peut pas mieux définir l’universelle interaction - "connexion d’un point de l’univers à un autre point quelconque. Le temps étant aboli, la négation du temps. l’ensemble des images en tant qu’elles sont saisies dans le système de leur perpétuelle interaction, c’est à dire dans un système où elles varient chacune pour elle-même et les unes par rapport aux autres. Ça va s’opposer à une vision qui sera dite "subjective", où les variations se font par rapport à un point de vue déterminé et immobilisé, à la vision terrestre solide, à l’œil humain ; ici nous avons affaire à l'œil de la perception totale, l’œil de la perception de l’universelle variation où les choses mêmes, c’est à dire les images, variant en elles- mêmes les unes par rapport aux autres "sont" les vraies perceptions. Au lieu que je saisisse une image, ce sont les images dans leur interaction qui saisissent toutes les actions qu’elles reçoivent, toutes les réactions qu’elles exécutent. Pour une fois c’est le système qu’on a vu, avec le système total de l’interaction, de l’interaction universelle."
http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=71
- parmi les questions infinies posées à une transcendance (terrible indécision de l'adresse, du destinataire des voix off) à la fois absente et omniprésente : une m'a terriblement touché : "qui sommes-nous pour toi?"
-la présence de la bible dans le cinéma récent américain ; comparer avec les deux derniers coen, par exemple ; ici, c'est pas la vengeance, qui préoccupe malick, mais la création et l'injustice (job, pourquoi le "bon" doit-il souffrir autant que le mauvais)... job était aussi présent chez les coen ; l'injustice n'est pas seulement humaine, légale, sociale mais métaphysique... pourquoi la mort, pourquoi les difformités physiques...
-2001 et shining ; hélas de ce côté, kubrick est trop fort, suffit de comparer les images de la naissance de l'univers, avec sa musique religieuse redondante, à l'usage de la musique chez Kubrick ; on retrouve aussi un thème kubrickien, celui de orange mécanique : comment peut-on adorer la musique dite classique, la grande musique, la grande sensibilité, et en même temps être un salaud ; dans "le nouveau monde", il y avait wagner ; ici, il y a nietzsche et le ressentiment (cité textuellement, "deviens l'homme que tu es"). Le père est un salaud, sa volonté de création par ressentiment, échec, est devenue une pure volonté de domination ; c'est un peu ce qu'on dit de Hitler, peintre raté (cf Ph. Lacoue-Labarthe, le national-esthétisme); le fils devient architecte... concilie les deux aspirations du père, le fric et la création.
-la psychanalyse, oedipe, la mère, le père ; dans tous les films de malick, on trouve une femme entre deux hommes ; il revient à cette relation à trois essentielle : le père, la mère, le fils ; l'oedipe, la rivalité... pour l'amour de la mère ; les deux frères, aussi... un côté très à l'est d'eden, mais saisi beaucoup plus tôt;
- dans un nouveau monde, il remontait à la genèse du usa, ici, c'est la genèse même de la vie, de la création... encore une histoire des origines
- retour aussi au monde des petites banlieues de la classe moyenne ; mais dans un ton très différent de celui de badlands ;
- côté éducation on songe bien entendu au "ruban blanc"
- "dualisme" de malick, la guerre est interne à l'être, et peut se nommer diversement, en moi, dit le gosse à son père (la nature, une volonté de pouvoir et de domination, le ressentiment ) et à sa mère (la grâce) vous serez toujours en guerre,
- tree of life ; bible (l'arbre de la vie n'est pas l'arbre de la science) ; liant job et cet arbre, on pense bien sûr au philosophe russe, Chestov...
Pour un peu dépasser les tartes à la crème sur la poésie, et je ne sais pas quoi, marquer combien ce film plonge dans la vie, dans la biographie la plus douloureuse : TM est le plus âgés des enfants de la famille M, trois garçons, comme dans le film : ses deux frères connaîtront des destins tragiques, chris sera gravement blessé dans un accident de bagnole qui coutera la vie à sa femme; le plus jeune, Larry, connaîtra une grave dépression alors qu’il étudie la guitare (comme l'un des gosses du film) avec Segovia en Espagne , 1968 ; il se brisera les deux mains, et finalement se suicide.
(c'est autour de ça que le film tourne, autour de ce noyau traumatique, rien à voir avec la guerre du Vietnam, comme le croit burdeau)
la mère de malick a grandi dans une ferme; (Géologue (ce qui explique des choses) le père est d’origine libanaise ("malick", c’est roi)
"I was raised in a violent environment in Texas. What struck me was how violence erupted and ended before you realy had time to understand what was happening ».
B.